Journal C'est à dire 228 - Janvier 2017

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D O S S I E R

Le canton est-il en train de se replier sur lui-même ? Neuchâtel Le canton de Neuchâtel veut éviter l’amalgame entre son “New Deal pour l’emploi” qui pousse les entreprises suisses à recruter localement et la vota- tion de février 2014 contre l’immigration de masse. Malgré tout, ce dispositif induit une notion de préférence locale dans le recrutement.

L’ État de Neuchâtel avait ciblé 30 grandes entreprises de plus de 250 salariés installées sur le canton. Les 2/3 ont accep- té d’entrer dans une collabo- ration “New Deal”, un disposi- tif mis en place depuis quelques mois par les pouvoirs publics cantonaux pour faire baisser le taux de chômage.

taliers qui sentent monter des animosités à leur égard depuis la votation du 9 février 2014 “contre l'immigration de mas- se” qui induit la notion de “pré- férence nationale” (et locale) dans le recrutement des entre- prises. Le canton de Neuchâtel se défend de vouloir fermer la por- te aux frontaliers et d’œuvrer

un habitant du canton. “Nous voulons agir pour que des demandeurs d’emploi aient accès à des postes auxquels n’avaient plus accès jusqu’à présent. Aus- si, le New Deal n’est pas qu’un partenariat avec les entreprises, c’est aussi une refonte complè- te du dispositif d’accompagne- ment des demandeurs d’emploi. L’esprit du New Deal n’est pas celui qui a conduit à la votation de février 2014.” Le canton de Neuchâtel espère faire baisser ainsi son taux de chômage qui est supérieur à 5 % et ainsi dimi- nuer le montant des aides sociales versées aux chômeurs. Le taux est supérieur de plus de 2 points au taux national. Le canton veut le ramener à 1 point de différence, ce qui était enco- re le cas en 2008. Or, actuelle- ment plus de 20 % des gens qui travaillent dans le canton n’y résident pas. La moitié sont des frontaliers. Il y en a 10 000. n

Cela signifie que ces entreprises s’engagent désormais à trans- mettre la liste de leurs postes vacants en prio- rité à l’Office Régional de Placement (O.R.P.)

dans le sens du repli sur soi. “Tout d’abord, les électeurs du canton ont voté majoritaire- ment “non” au référen- dum de février 2014. Ensuite, on sait par

“Nous ne pourrons pas répondre à tous les besoins.”

qui s’occupe de reclasser les demandeurs d’emploi domiciliés sur le canton. Cette mesure vise à encourager la recherche endogène de com- pétences avant de faire appel à la main-d’œuvre des cantons voi- sins, ou française. C’est ce que craignent les travailleurs fron-

avance que nous ne pourrons pas répondre à tous les besoins de recrutement dans les entreprises avec la main-d’œuvre locale” dit- on du côté des autorités canto- nales. Pour autant, ce New Deal induit bien l’idée d’un arbitra- ge dans le recrutement, avec, le cas échéant, une préférence pour

Le New Deal du canton de Neuchâtel est aussi une refonte complète du dispositif d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Politique Adapter les compétences au marché de l’emploi Le canton de Neuchâtel tente de favoriser le retour à l’emploi de ses chômeurs. Pour cela, il doit travailler sur la question des compétences afin de leur permettre de rejoindre des secteurs qui embauchent encore.

L e conseiller d’État neuchâte- lois Jean-Nat Karakash est un élu actif dans les relations transfrontalières franco-suisses. Alors, lorsqu’on lui demande si la maniè- re dont il lutte aujourd’hui contre le chômage dans son canton n’est pas le signe d’un repli qui va dans le sens de la votation de février 2014, il contes- te. “Il n’y a pas de lien entre le “New Deal pour l’emploi” que je propose et la votation “contre l’immigration de mas- se” rectifie d’emblée l’élu socialiste en charge de l’économie et de l’action sociale. Il rappelle au passage que les électeurs de son canton ont dit majoritairement non au référendum obtenu par l’U.D.C., un parti conservateur et natio- naliste. Vu de Neuchâtel, le ”New Deal pour l’emploi” qui a “pour objectif prin- cipal de faire en sorte que les places de travail disponibles soient effectivement valorisées pour réduire le chômage chaque fois que cela est possible” lit-on dans le rapport du Conseil d’État sur l’intégration professionnelle, n’a pas été imaginé pour freiner l’emploi fron- talier en particulier.

Pourtant, vu de France, c’est bien com- me cela que cette action publique est perçue. “Je ne vois comment je peux retrouver du travail en Suisse avec l’ins- tauration de cette mesure, ou alors ce sera très difficile. Il est évident que dans les ressources humaines, le secteur dans lequel je travaille, les employeurs trou- veront des compétences équivalentes sur le canton” redoute Isabelle, une frontalière, qui était salariée dans une entreprise du Locle et qui vient de perdre son job. Jean-Nat Karakash entend ces craintes, comme il entend également celles de ses concitoyens qui n’ont pas d’emploi et qui ne comprendraient pas que l’État de Neuchâtel res- te les bras croisés alors que le taux de chômage dans le can- ton est le plus élevé de Suisse ! Depuis son élection en 2013, Monsieur Karakash a donc décidé de s’attaquer frontalement au problème qui laisse apparaître un paradoxe. Depuis 2009, l’économie cantonale n’a jamais créé autant d’emplois, et pourtant le taux de chômage n’a jamais été aussi élevé. En six ans, 8 700 emplois ont été créés (+ 10,2 %), alors que le taux de chô-

Jean-Nat Karakash, conseiller d’État en charge de l’économie et de l’action sociale.

mage qui a atteint un pic au moment de la crise des “subprimes” (7,2 %) n’a pas baissé dans les mêmes pro- portions (5,3 % en décembre 2014). “Nous avons décidé de résoudre ce para- doxe” souligne Jean-Nat Karakash. Une fois établi ce constat, il s’avère que le problème de fond du canton de Neu- châtel n’est pas les 10 000 frontaliers dont la majorité est employée dans l’in- dustrie. Ce ne sont pas non plus les 10 000 Suisses qui vivent dans les can- tons voisins et qui travaillent ici. Le problème soulevé par l’État de Neu- châtel est celui de la compétence de ses chômeurs et demandeurs d’emploi qui ne répond pas aux besoins du mar- ché du travail. Même si les entreprises jouent le jeu du New Deal, et trans-

mettent en priorité leurs propositions de recrutement à l’Office Régional de l’Emploi (O.R.P.), il n’est pas certain qu’elles trouvent par ce biais le profil qui convient au poste proposé. “L’autre volet de la politique que nous menons concerne précisément la refonte com- plète du système d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Il y a des domaines comme celui de l’imprimerie qui ont profondément évolué avec la numérisation. Des emplois ont été détruits. Du fait de ces changements il y a une main-d’œuvre qui devient peu employable” souligne le conseiller d’État. Le canton de Neuchâtel a donc mis en place des programmes spécifiques pour permettre aux personnes concernées d’évoluer et d’envisager une recon-

version vers les secteurs porteurs com- me “les métiers de la santé, la pro- duction biotech ou la pharmacie.” L’hor- logerie fait partie des domaines “où des Neuchâtelois ont également une chan- ce de trouver un travail.” En l’état, du fait de ce décalage de com- pétences, il n’y a pas de concurrence réelle sur le canton de Neuchâtel entre un Français qui présenterait un savoir- faire dans l’industrie et un Suisse chez qui il ferait défaut. En revanche, ce qui est sûr, c’est que les frontaliers comme les Suisses paient le ralentissement de la conjoncture. L’un comme l’autre sont menacés par le chômage et la difficulté de retrou- ver un emploi. n T.C.

“Une chance de trouver un emploi.”

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