Journal C'est à Dire 169 - Septembre 2011

P L A T E A U D E M A I C H E

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Gens du voyage “Il faut trouver le moyen de vivre ensemble”

C’ est à dire : Qui sont les gens du voyage ? Patrick Mila : Par définition, ce sont des gens dont l’activité dépend du voyage. Ce terme générique englobe les Tziganes, les bateliers autant que les Cir- cassiens. Ceux dont vous parlez sont les Tziganes qui se répar- tissent en quatre ethnies : les Gitans, les Manouches, les Roms et les Yéniches. Mais je rappel- le que les Roms Tziganes n’ont rien à voir avec ceux désignés comme étant des Roms par la commission européenne, et qui sont des réfugiés économiques originaires de Bulgarie ou de Roumanie, arrivés en France au début des années 2000. Càd : Ces communautés sem- blent aussi profondément attachées à la religion. Pou- vez-vous l’expliquer ? P.M. : Chez les gens du voyage, la religion est très importante, mais elle génère des modes de vie différents. D’un côté, il y a les catholiques qui se déplacent par petits groupes de cinq ou dix caravanes et qui participent à de grands rassemblements com- me celui des Saintes-Marie-de- la-Mer. Ils s’installent dans les aires d’accueil. Puis il y a les évangélistes protestants, qui se déplacent par grands groupes d’une centaine de caravanes. Ce sont les grandes missions aux- quelles on assiste pendant la période estivale. Les aires de grand passage sont faites pour eux. Càd : De quoi vivent les gens du voyage ? Directeur de l’association franc-comtoise des gens du voyage - gadjé, Patrick Mila explique les enjeux à venir pour cette com- munauté.

P.M. : Ceux qui font de la van- nerie ou de l’empaillage de chaises sont désormais à la mar- ge car ces activités nécessitent de beaucoup voyager. Compte tenu des difficultés économiques, ils voyagent moins. Beaucoup se sont tournés vers d’autres métiers de service comme l’élagage, le jardinage, le ramo- nage ou l’entretien de toitures. À quelques exceptions près, tous ces gens sont déclarés, et sont installés en auto-entrepreneurs pour exercer légalement leur activité. Ils sont entrés majo- ritairement dans le droit com- mun. Nous travaillons actuel- lement avec le Conseil régional sur une formation qualifiante pour les gens du voyage afin qu’ils puissent créer leur micro- entreprise. Càd : Pourquoi dans cette communauté les enfants quit- tent l’école à la fin du pri- maire ? P.M. : Le peuple Tzigane a une culture orale. Ces gens sont dans un monde où ils sentent une pression pour les assimiler et les rendre sédentaires. Cela pas- se par l’école. Or, quand les enfants vont en classe, ils apprennent une culture écrite qui est la nôtre, et ils sortent ainsi de la culture Tzigane. L’enjeu identitaire est là. Ces enfants reçoivent un discours contradictoire. D’un côté leurs parents savent qu’ils doivent apprendre à lire et à écrire, mais a minima pour préserver la cul- ture Tzigane qui se transmet à l’oral. Par ailleurs, chez les gens du voyage, jusqu’alors il n’y avait pas d’adolescence. On passait de l’enfance à l’âge adul- te auquel il faut gagner sa vie. Cette conception des choses qui est en train de changer ne lais- sait pas de place au collège. Càd : Où en est-on dans le processus de scolarisation de ces enfants en Franche-Com-

té sachant que différents dis- positifs existent comme des camions-écoles qui sillonnent les départements ? P.M. : En Haute-Saône, en six ans, nous sommes passés de 20 % des enfants des gens du voyage scolarisés, à 100 % ! Il y a désormais quelques scolari- sations en collège et un début en lycée. Nous essayons de fai- re le même travail dans le Doubs et dans le Jura. Depuis deux ans, un camion-école se dépla- ce sur ces deux départements pour prendre en charge ces enfants. Càd : Quel visage aura selon vous cette communauté dans dix ans ? P.M. : La communauté des gens du voyage est à la croisée des chemins. Jamais elle n’a été confrontée à un risque aussi fort de disparition. Dans dix ans, la culture Tzigane ne sera pas la même. Elle ne doit pas nager à contre-courant, mais dans le courant tout en essayant de rejoindre la berge. C àd : Les gens du voyage sont rarement les bienvenus dans les communes. La cohabita- tion est difficile avec les autochtones le dialogue est- il possible ? P.M. : Il y a des délinquants dans ces peuples comme dans les peuples de sédentaires. Lors- qu’un peuple est en difficulté, alors oui il y a plus de délin- quance. Des voyageurs se sen- tent persécutés par le monde actuel, ils n’y voient pas d’espoir, ce qui génère de la violence. Le fait de les regrouper dans des aires d’accueil comparables à de nouvelles Z.U.P. ne facilite pas les choses. Il y a toujours cette crainte du sédentaire vis-à-vis du voyageur, la crainte du “voleur de poules”. Toute la difficulté est d’essayer d’apporter des solutions à ces gens dont on ne connaît pas le

Une famill italienne da s les années cinquante.

mode de vie. On fait fausse rou- te en considérant qu’il y a d’un côté une société bonne et de l’autre des sauvages qui méri- tent d’être éduqués. Il faut par- venir à ce que chacun regarde chez l’autre ce qu’il y a de bien et l’accepte. Le but est de trou- ver le moyen de vivre ensemble.

Plan départemental Maîche et Morteau : 28 emplacements disponibles Le Doubs compte 13 aires d’accueil des gens du voyage dont une à Morteau et une à Maîche. Aujourd’hui, notre département est doté en terme d’emplacements. Il veut maintenant mettre l’accent sur l’accompagnement social. Le Conseil général du Doubs engage actuellement la révision du schéma départemental dʼaccueil des gens du voyage qui a été mis en place en 2006. “Le but est de faire le bilan et dʼidentifier les points à renforcer” indique Éric Faivret, directeur de lʼéconomie et des collectivités locales du Conseil général. Notre départe- ment compte 13 aires dʼaccueil (soit 296 places), 4 aires de grands passages (soit 300 places) et quelques terrains familiaux qui sʼadressent à des familles en cours de sédentarisation. Côté équipement, le Doubs est dans les clous. 5,3 millions dʼeuros ont été investis ces dernières années par les collectivités locales et lʼÉtat pour aménager ces aires. “Cʼest pourquoi la révision du schéma se fait moins dans une logique dʼéquipement que dʼaccompagnement social” ajoute-il. Cependant, lʼaccent devrait être mis sur les terrains familiaux comme il en existe déjà sept à Pontarlier pour favoriser la séden- tarisation des familles qui le souhaitent. Patrick Mila, le directeur de lʼassociation Gadgé, y est favorable. “Lʼaccueil sur les aires est totalement dépassé. Les voyageurs ne voyagent plus. Il ne faut plus raisonner en terme dʼemplacement mais dʼhabitat. On se bat pour que dans les Plans Locaux dʼUrbanisme des espaces soient réservés pour des terrains familiaux comme il y a des obli- gations pour les logements sociaux. Plutôt que de concentrer les gens sur des aires dʼaccueil au risque de créer des problèmes il serait préférable dʼavoir deux terrains familiaux dans chaque commune.” Dans le Haut-Doubs, Morteau et Maîche sont deux communes équipées dʼune aire dʼaccueil des gens du voyage. Celle de Mor- teau compte 8 emplacements et celle de Maîche 20. Ces deux aires sont gérées en régie par les collectivités. Par comparaison, la Communauté dʼAgglomération du Grand Besançon qui a amé- nagé 5 aires sur son territoire dont une de grand passage, vient de déléguer la gestion à une entreprise privée.

Propos recueillis par T.C.

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