Journal C'est à Dire 129 - Janvier 2008

L E P O R T R A I T

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Le dernier pied-de-nez d’une élue douce-amère Après 19 ans passés à la tête de la mairie de Goumois, Jeanne-Marie Taillard tire sa révérence, déçue par un système sclérosé qui réduit le rôle de maire à celui de passe-plat, entre un Parle- ment frileux qui légifère à outrance et une population qui s’infantilise. Goumois

J anvier. Début d’une pério- de préélectoralenormaleou presque.Alors que d’autres mairesaffûtentleurs argu- ments de campagne pour se lan- cer danslabatailledesmunicipales, biendécidésàconserverleur échar- pe tricolore, Jeanne-Marie Taillard s’apprêteàselivreràsonsport favo- ri : “Écouter une bonne musique et lire un bon bouquin.” Pour cet- te épicurienne, le “bonheur inté- gral” a cette saveur. Et il y a trop longtemps maintenant qu’elle n’y a pas goûté avec délectation. Alors basta ! Après avoir passé 19 ans à se démener pour Goumois, comme son père avant elle, mademoi- selle tire sa révérence. Elle a por- té assez longtemps toutes les casquettes que le maire d’un petit village coiffe en fonction des dos- siers qu’il empoigne, tantôt can- tonnier ou directeur des services techniques, pour céder sa place. Elle quitte la scène politique loca- le, satisfaite du travail accom- pli, mais avec tout de même une pointe d’amertume. “Je n’ai plus de plaisir à être maire” lâche- t-elle d’un ton franc habituel qui désarçonne le premier venu osant lui tenir un discours langue de bois. Jeanne-Marie Taillard n’a plus envie de se battre. La bureau- cratie française aura fini par avoir raison de l’enthousiasme de cette femme hyperactive. Cet- te passionnée de culture a mieux à faire aujourd’hui que de

s’évertuer à mettre son éner- gie au service d’une tâche écra- sée par un “maelström admi- nistratif et politique” si imposant que la situation en devient risible parfois. Cet imbroglio qui diffu- se les responsabilités désamor- ce l’initiative. Il a fallu trois ans à la commune de Goumois pour obtenir l’autorisation de trans- former l’ancienne douane en une crèche halte-garderie. Ce projet structurant pour le village devrait enfin se concrétiser. Un délai trop long alors que les besoins sont pressants sur le terrain. Mais le degré d’urgence n’est pas le même suivant que l’on soit porteur du dossier ou chargé de l’instruire. “Il n’y a pas de stra- tégie de réponse rapide. C’est décourageant. Si nous avons long- temps eu la meilleure adminis- cement d’énergie soupire-t-elle. Au début de mon mandat, c’était grisant. Les hauts fonctionnaires étaient réceptifs à l’initiative des maires.” Est-ce là le signe que nous sommes entrés dans l’ère du consensus mou encouragé par l’émergence d’une société sécu- ritaire à tous les niveaux ? Pro- bable. L’excès s’insinue jusqu’aux portes de Goumois. Saviez-vous que séjourner dans ce village, c’est tration du monde, désor- mais, c’est la mal-admi- nistration. Dès que l’on veut être innovant dans la société actuelle, ça demande un vrai dépla-

prendre le risque d’être empor- té par une rupture du barrage du Châtelot, d’être victime d’un tremblement de terre ou encore de disparaître dans un glisse- ment de terrain ? Les services de l’État ont contraint la com- mune d’afficher ces dangers à l’entrée de l’agglomération ! “C’est engageant pour un village tou- ristique” ironise Jeanne-Marie Taillard. En bonne élève, elle s’est pliée à la consigne tout en la déformant avec humour dans un tract distribué aux touristes qui débute par ce préambule d’Henri Salvador : “Faut rigoler avant qu’le ciel nous tombe sur la tête.” L’élue en a assez de ces dérives du système. Elle préfère se reti- rer plutôt que d’être muselée. La coupe est pleine pour celle qui fut chargée de recherche à Gruillot (de 1984 à 1998). Elle était convaincue qu’elle pourrait mener localement une politique d’action, fédératrice et d’envergure. “Être élue pour poser des tuyaux d’assainissement et avoir une écharpe tricolore pour le folklore ne m’intéresse pas. Je crois plus en des stratégies com- me le tourisme qui donne de la cohérence à un territoire.” Elle fondait ainsi plus d’espoir en la fédération de communes au l’Université, qui a été l’élève d’Edgar Faure et la proche collabo- ratrice de Georges

sein du Pays Horloger qu’à la création de communautés de communes incohérentes comme celle de Maîche à laquelle elle a d’ailleurs refusé d’adhérer. Par ses décisions tranchées et ses coups de gueule, cette fem- me de tempérament est l’électron libre de la politique locale, tou- jours prête à ruer dans les bran- cards pour faire bouger les choses. Le politiquement correct n’est pas sa tasse de thé, enco- re moins la politique spectacle. Italienne par sa mère, cette fem- me charismatique au look baroque n’est pas du genre à entrer dans le rang. “Le mandat de maire est très beau. Je vou- lais être élue pour préparer l’avenir et prouver qu’un village aussi enclavé soit-il pouvait bien vivre. Mais je m’aperçois que mes préoccupations n’intéressent que moi.” Dans une bande frontalière où les collectivités sont surtout occu- pées à lotir, rares sont ses homo- logues et ses concitoyens à avoir perçu son dessein pour un Haut- Doubs en quête d’une nouvelle identité. Son échec est là. Si Edgar Faure était encore de ce monde, il aurait probablement glissé à l’oreille de Jeanne-Mai- re Taillard à la veille de son départ de la mairie de Goumois une de ses formules savoureuses dont lui seul avait le secret : “ L’immobilisme est en marche, et rien ne pourra l’arrêter.” T.C.

“Le mandat de maire est très beau.”

En retraite, Jeanne-Marie Taillard va partager son temps entre Besançon et Goumois.

DISCO Vacances

VILLERS-LE-LAC Jeudi 3 avril 2008 20h30 - Salle des fêtes NOUVEAU SPECTACLE NICOLAS CANTELOUP

40 € Plus frais de réservation

45 € Plus frais de réservation

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