Journal C'est à Dire 186 - Mars 2013

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H I S T O I R E

EDGAR FAURE, L’ÉLU DU HAUT-DOUBS Il y a tout juste 25 ans disparaissait un des hommes politiques les plus embléma- tiques du XXème siècle. Plusieurs fois ministres, juge au procès de Nuremberg, pré- sident du conseil, président de l’Assemblée Nationale, académicien, plusieurs fois sénateur et député, Edgar Faure a également marqué l’histoire de notre région en tant que président du Conseil régional de Franche-Comté jusqu’au 30 mars 1988, jour de son décès. L’illustre homme aura également laissé sa trace dans le Haut- Doubs et à Pontarlier en particulier, ville dont il fut maire durant un mandat, entre 1971 et 1977. À l’occasion de l’anniversaire de sa disparition, le journal C’est à dire s’est penché sur la prestigieuse carrière de ce Pontissalien d’adoption. Si dans le Haut- Doubs, il n’a pas marqué tous les esprits car trop souvent absent, il a néanmoins laissé une place indélébile dans les mémoires, que ce soit sur le plan national, inter- national ou local. Hommage et anecdotes.

Au Conseil régional de Franche-Comté, dont il sera le président jusqu’à sa mort le 30 mars 1988.

Sa vie Avocat, parlementaire, ministre et… maire de Pontarlier

conseiller général du canton de Pontarlier, député du Doubs et président de l’établissement public régional qui deviendra en 1982 le Conseil régional de Franche-Comté. En 1966, il est à la fois sénateur du Jura, ministre de l’Agriculture, mai- re de Port-Lesney et président du Conseil général du Jura. Tout cela pour un seul homme. Il faut dire que l’homme est

reur général adjoint français au tribunal militaire international de Nuremberg où seront jugés les criminels de guerre nazis. Et c’est en 1946 qu’il entame sa fulgurante série de responsa- bilités ministérielles et élec- tives, le faisant vivre entre le Jura, Paris et le Haut-Doubs. Cette succession de portefeuilles officiels n’est interrompue – pro- visoirement - qu’en 1961, à une

notamment en tant qu’auteur de romans policiers sous le pseu- donyme d’Edgar Sanday (sans “D”…). Celui pour la musique aussi puisqu’il sera un pianis- te plutôt doué, doublé d’un com- positeur de chansons. Ses dif- férents écrits lui vaudront d’être reçu en 1978 parmi les immor- tels de l’Académie française, suprême honneur. Ceux qui ont côtoyé Edgar Fau- re se souviennent aussi de l’homme d’esprit à la repartie incomparable (voir ses petites phrases page suivante). Son côté charmeur aussi. Une serveuse qu’il regardait avec insistance dans un restaurant lui deman- de : “Pourquoi me dévisagez- vous comme ça ?” , Edgar Faure lui fait cette réponse : “Je ne vous dévisage pas, je vous envi- sage…” Respect… nal acquis à sa cause. Son édi- torial du 5 mars 1971 en dit long sur son sens du consensus. “Le président de la République a dit récemment, qu’à son avis, les élections municipales ne devaient pas être politisées… Telle est notre opinion. Certains partis sont d’un avis contrai- re. C’est bien leur droit… Nous n’avons aucun esprit partisan. Je n’ai aucune animosité contre le P.C. Il y a dans le P.C. des hommes valables et bien des démocrates sincères…Quant au parti socialiste, je n’oublie pas le soutien qu’il m’avait apporté dans mon premier gouvernement et à diverses reprises par la sui- te…” (2) Le verdict est à la hauteur du personnage. Sa liste passe en totalité avec 62 % des voix. Du jamais vu dans l’histoire pon- tissalienne. F.C. J.-F.H. (1) Maurice Carrez. Edgar Faure. La robe, la plume et la politique. Éditions du Belvédère (2) Bernard Olivier. Edgar Faure : un itinéraire excep- tionnel qui passe par la Franche-Comté

À l’heure où le non-cumul des mandats fait son chemin, Edgar Faure est un exemple caricatural du système politique français qui encourage le cumul. Si bien que sa fonction de maire de Pontarlier n’aura pas été la plus investie. Retour sur un parcours étourdissant.

H eureusement que la loi électorale fran- çaise interdit d’être à la fois sénateur et député. S’il y a bien un per- sonnage politique qui aurait pu, et avoir le talent de cumuler les deux, c’est bien Edgar Faure. Le Jurassien et Doubien d’adoption a enchaîné à un ryth- me peut-être inédit sous les IV è- me et V ème République les fonc- tions électives et les respon- sabilités nationales. Deux exemples : sur la seule année 1974, Edgar Faure est en même temps président de l’Assemblée nationale, maire de Pontarlier,

doué, même surdoué. Titulaire du bacca- lauréat à 15 ans et demi avec dispense d’âge, il est encore mineur quand il enta- me sa carrière

époque où l’élu prend quelques distances avec le gaullisme. À 53 ans, Edgar Faure pro- fite de cette petite transition pour passer une agrégation de droit

À 53 ans, il passe une agrégation de droit romain.

d’avocat, à 19 ans, après avoir mené de front des études de droit, d’histoire et de langues orientales. C’est en tant que juriste que le jeune Edgar Fau- re, alors âgé de 37 ans est dési- gné pour siéger comme procu-

romain et d’histoire du droit. Il sera reçu premier du concours… et deviendra professeur de facul- té à Dijon et à Besançon. À ses talents politiques, il en ajoute d’autres. Celui pour la littérature. Il se fera connaître

Chez son ami Henri Maire, dans les caves d’Arbois.

Contexte

L’homme providentiel du Haut-Doubs En 1967, comme il l’avait fait 20 ans plus tôt dans le Jura voisin, Edgar Faure part à la conquête du Haut-Doubs où il s’impose rapidement sur la scène politique.

L e glissement comme il l’explique à ses amis “du Jura administratif au Jura géographique” relè- ve d’une stratégie parfaitement contrôlée qui laissait peu de pla- ce à la défaite. En 1966, Edgar Faure alors ministre de l’Agriculture dans le gouverne- ment de Georges Pompidou sait qu’une victoire aux élections législatives lui permettrait de conforter sa place dans l’équipe gouvernementale. Ses chances de victoire dans le Jura n’étaient pas évidentes que ce soit face à Jacques Duhamel à Dole ou à Louis Jaillon à Lons qui refu- sait toute entente. Comme il avait pris pour prin- cipe de ne jamais poser sa can- didature sans qu’elle fût dési- rée, mieux valait donc chercher ailleurs dans une circonscrip- tion, autre règle, en phase avec son électorat de base, à savoir une bourgeoisie provinciale de petits patrons, commerçants et agriculteurs. Dans ces circonstances, le Haut-

Doubs lui tendait les mains. Cet- te circonscription conservatrice “peu évoluée politiquement” est alors représentée par Louis Maillot. Ce personnage sur- nommé le “sot du Doubs” au mode de vie apparemment bien arrosé accepte de laisser sa pla- ce assez facilement après quelques doses de gentiane. Il bénéficie du soutien de la droi- te locale convaincue de l’intérêt d’avoir un ministre à la tête

l’élevage n’eut pas trop à forcer son talent pour convaincre dans les cantons alentour. Résultats : une victoire sans appel le 5 mars 1967 avec deux tiers des suf- frages exprimés. Avec cette faculté bien à lui de savoir se rendre accessible, il renforce sa popularité au fil de ses visites dans son nouveau fief. Ce qui ne l’empêche pas non plus d’être fidèle à sa légendaire modestie quand il confie aux

Aux municipales de 1971, Edgar Faure, et sa liste d’entente pour la promotion de Pontarlier, l’emporte avec 62 % des voix. Du jamais vu jusqu’alors.

de la circonscription Morteau-Pontarlier. Rarement campagne électorale fut menée avec autant d’éclat sur le Haut-Doubs. Edgar Faure eut droit à un

agriculteurs : “Votre région a deux atouts : l’altitude et moi- même !” Vanité, quand tu nous tiens… Sa candidature aux cantonales sur Pon-

Haut-Doubs aux législatives de 1968. Suite à quoi l’homme d’État se voit confier par le Géné- ral De Gaule le ministère de l’Éducation nationale avec la redoutable mission de trouver une issue pacifique à la crise universitaire. Une mairie ne serait pas pour lui déplaire dans son fief élec- toral. L’occasion se présente quand Jacques Lagier le jeune maire de Pontarlier annonce qu’il ne sera pas candidat aux municipales de 1971. “C’est une charge très lourde et je devais

m’occuper de ma vie profes- sionnelle et familiale. Edgar Fau- re a essayé de me convaincre de continuer mais je n’ai pas chan- gé de point de vue. À partir de là, il a posé sa candidature” , se souvient Jacques Lagier. La majorité des électeurs pontis- saliens ont vu en lui l’homme providentiel, “le chantre presque naturel d’une ruralité dyna- mique” comme le qualifie Mau- rice Carrez dans l’ouvrage (1) qu’il lui a consacré récemment. Edgar Faure écrira dans un article du Pontissalien, un jour-

Votre région a deux atouts : l’altitude et moi-même !

accueil triomphal le 7 janvier 1967 en gare de Pontarlier avec fanfare, préfet, sous-préfet, élus locaux et tout ce que la ville comptait de petits notables. Du pain béni pour Edgar Faure qui fidèle à sa réputation a su trou- ver les petits mots et répliques qui font mouche. L’auteur de la loi sur la modernisation de

tarlier en septembre 1967 est également couronnée de succès. Il restera au poste jusqu’en 1979 sans pour autant accéder à la présidence du Conseil général du Doubs comme ce fut le cas dans le Jura. Le champion des comices, roi des banquets, savoura sa troi- sième victoire électorale sur le

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