Journal C'est à Dire 186 - Mars 2013

V A L D E M O R T E A U

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Morteau “J’étais là au moment endroit et au mauvais moment” Le 1 er novembre dernier, à 6 h 10 du matin, Robert Née, 54 ans, est violemment agressé place du Champ de foire à Morteau alors qu’il part travailler. Cinq mois après les faits, il sort du silence. Il a repris le travail début mars, mais n’est pas tiré d’affaire puisque son œil gauche est encore paralysé. Entretien.

logiquement ? R.N. : On m’a proposé un accom- pagnement psychologique. J’ai refusé. Psychologiquement, je me sens bien. Si mon œil gauche n’était pas paralysé, je ne parle- rais plus de cette histoire. Pour l’instant, je continue de me battre et à aller de l’avant. Si mon œil ne revient pas, je penserai tou- jours à ces gars-là qui m’ont mas- sacré le matin du 1er novembre 2012. Càd : Qu’est-ce qui a pu déclencher une telle violen- ce selon vous ? R.N. : C’était purement gratuit. C’est ça qui est le plus terrible. Ils voulaient taper. D’ailleurs, ils ne m’ont rien volé. Càd : Où en est l’enquête aujourd’hui ? R.N. : J’ai peu d’informations sur l’enquête de gendarmerie. J’ai pris un avocat. J’aimerais qu’on retrouve mes agresseurs. En réalité, je n’ai pas beaucoup d’espoir. Càd : Quel sentiment éprou- vez-vous à l’égard de vos agresseurs ? R.N. : Je n’ai pas de haine. Je voudrais simplement que la jus- tice passe dans cette affaire. Il faut que ces individus paient pour ce qu’ils ont fait, et c’est tout. Càd : Avez-vous des angoisses lorsque vous passez sur le lieu de l’agression ? R.N. : Non je n’ai pas d’angoisses. Ce matin, j’ai traversé le champ de foire pour aller prendre le train comme je le fais depuis onze ans pour aller à La Chaux- de-Fonds. Je n’ai pas pensé à l’agression. Finalement, je me dis que ce qui est arrivé était mon destin. J’étais là au mau- vais endroit au mauvais moment. Il ne faut pas se morfondre, mais continuer à aller de l’avant. Càd : Il y a eu un élan de soli- darité à la suite de votre agression, des réactions de voisins qui se sont indignés. Comment avez-vous vécu cela ? R.N. : C’est touchant, ça m’a beaucoup aidé. Les gens ont été très sympas avec moi. J’ai moi- même été étonné par cette soli- darité. Tous mes collègues m’ont soutenu. Beaucoup de monde est venu me voir. Dans le mois qui a suivi l’agression, j’ai eu des visites quotidiennes. Cela fait vraiment plaisir de se sentir épaulé. À un moment donné, j’ai eu peur de perdre mon travail. Mais m’ont employeur m’a mis en confiance. Propos recueillis par T.C.

C’ est à dire : Comment allez-vous ? Robert Née : Mieux. Mon der- nier examen médical au C.H.U. de Besançon est positif par rap- port aux lésions que j’avais à la tête. J’ai repris le travail le 6 mars. J’adore mon job de logis- ticien dans une entreprise d’horlogerie à La Chaux-de- Fonds. Au boulot, je suis le plus heureux des hommes ! Je suis content de retrouver mon équi- libre, car les quatre mois d’arrêt que j’ai passés à la maison et à l’hôpital ont été longs. Càd : Quels souvenirs gardez- vous de l’agression qui a eu lieu le matin du 1er novembre, place du champ de foire à Morteau ? R.N. : Je ne me rappelle rien. La seule chose dont je me souvien- ne, c’est d’avoir entendu du bruit derrière moi. J’ai la vision de mon collègue se faisant agres- ser. Je suis allé l’aider. Ensui- te, c’est le trou noir. Les pom- piers m’ont ramassé. J’ai eu cinq traumatismes à la tête, deux côtes cassées et une oreille déchi- quetée. J’aimerais savoir ce qui

s’est passé et pourquoi je ne me suis pas défendu face à ces trois individus. Ces questions-là me travaillent. Càd : La paralysie de votre œil gauche est une séquelle importante qui vous handi- cape au quotidien. Cette para- lysie est-elle définitive ? R.N. : En décembre, j’ai été hos- pitalisé quatre jours. On m’a opé-

ner ne plus conduire. C’est ma passion. Je suis certain que la chirurgie a une solution. Tout ce qui peut m’aider et qui est posi- tif, je le prends. Mon souhait est de redevenir comme avant pour continuer ma vie. Càd : Vous avez repris le tra- vail en janvier, avant d’être hospitalisé une nouvelle fois. Que s’est-il passé ?

R.N. : À la suite de l’agression, j’ai eu cinq traumatismes à la tête et un hématome qui a grossi. Juste après les vacances de Noël, je suis allé travailler. Pour moi,

ré des yeux. L’œil gauche est resté paralysé mais l’acuité visuelle est bon- ne. C’est le nerf n° 6 qui est abîmé. À Besançon on m’a dit qu’il n’y avait rien à faire de plus dans

“Je n’ai pas de haine.”

Rappel des faits Une agression aussi violente qu’inexplicable Les trois agresseurs ont frappé Robert Née jusqu’à le lais- ser inanimé sur le Champ de foire à Morteau. La caméra de surveillance du Champ de foire ne fonctionnait pas. J eudi 1 er novembre à 6 h 10, Robert Née, 54 ans, sʼest fait rouer de coups place du Champ de foire à Morteau en allant prendre le train pour rejoindre son lieu de travail en Suisse. Il était accompagné dʼun collègue et de son fils. Il semble que ce quin- quagénaire ait tenté de sʼinterposer pour calmer les esprits après un début dʼaltercation entre son collègue et trois individus qui ont fini par sʼen prendre à lui. Les agresseurs lʼont frappé à coups de poings et à coups de pieds, le laissant à terre inanimé avant de prendre la fuite. Cʼest le fils, médusé, qui a alerté les pompiers et les gendarmes. Ce fait divers, passé inaperçu, a choqué les travailleurs frontaliers matinaux habitués à prendre le train à Morteau. Heurtée par cette histoire, Patricia Bailly, une habitante de la ville, avait déci- dé à lʼépoque de réagir pour faire part de son indignation. Cou- rageusement, elle a signé un mail, quʼelle a diffusé sur les réseaux sociaux, et un courrier quʼelle a distribué dans 45 boîtes aux lettres de son quartier, et envoyé à la mairie. “Nous citoyens, que faisons- nous face à cette violence ? Que pensons-nous faire ? Que pour- rions-nous faire ? Quʼallons-nous faire ? Et demain… qui ?” interrogeait-elle dans son message, espérant une réaction des autorités publiques. Suite à lʼagression, la gendarmerie de Morteau a ouvert une enquê- te. Elle poursuit toujours ses investigations pour déterminer lʼidentité des auteurs qui avaient la tête recouverte dʼune capuche. Dans leur travail, les enquêteurs nʼont pas pu sʼappuyer sur la caméra de vidéo surveillance du Champ de foire qui participe pourtant à la sécurité du site, puisquʼelle ne fonctionnait pas ce jour-là… Peu avant les faits, elle a été mise hors service pour maintenance, mais elle nʼa pas été réactivée.

l’immédiat. De mon côté, je suis convaincu que la chirurgie peut quelque chose pour cet œil afin de le remettre dans l’axe, et au mieux lui redonner sa mobili- té. J’ai un rendez-vous à Lau- sanne le 26 mars pour voir dans quelle mesure il est opérable. J’espère une bonne nouvelle. Càd : Espérez-vous recondui- re un jour ? R.N. : Oui, j’espère reconduire un jour. Je ne peux pas imagi-

tout allait bien. Je ne voyais pas que mon état de santé se dégra- dait. Après trois jours, le jeudi soir, je suis tombé dans un semi- coma. J’ai été opéré deux fois à la tête. Le pire, dans l’histoire, c’est que cette affaire me coûte financièrement. Cette agression est considérée comme un acci- dent du travail car je partais bos- ser. Résultat, beaucoup de frais de santé sont à ma charge.

Càd : Êtes-vous suivi psycho-

L’agression s’était déroulée le 1 er nov- embre denier place du Champ de foire à Morteau.

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