Livre Cognac Terre de passions

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Ainsi, quatre jours par semaine et durant une grosse heure, au moins cinq des sept membres du comité de dégustation vont goûter les eaux-de-vie qui feront — ou ne feront pas — les futurs cognacs de la maison Hennessy. Outre la dégustation « pour avis » des premières chaufes de la nouvelle campagne de dégustation, les nez vont noter les « bonnes fns » de 2011 et 2012, et préparer l’acte ultime de l’élaboration d’un cognac : l’assemblage. Un travail d’orfèvre destiné à pérenniser un goût mais surtout un style, le style Hennessy. De trésors diférents, le maître de chai fera sa synthèse, cherchant à s’approcher une nouvelle fois de cette perfection qui guide toute sa recherche. «Oui, c’est moi qui tranche in fne, précise Yann Fillioux, mais cela reste un travail d’équipe et à peu de chose près on tombe toujours d’accord. » L’à-peu-près n’a pas sa place, la médiocrité est priée de rester à la porte, et la sentence peut être brutale. Mais qu’on se rassure, et fort heureusement pour la viticulture charentaise, le stylo vert de Yann Fillioux délivrera le plus souvent une note tout à fait honorable… Une affaire de professionnels L’exercice requiert une extrême concentration. Assis autour d’une longue table de bois couverte d’une plaque de verre, chacun se met à l’œuvre, selon un rituel bien rodé. Le silence est d’or au royaume du cognac, on n’entend guère que le léger tintement des verres et parfois quelques mots susurrés dans une langue cryptique. Quelques hochements de tête ont valeur de verdict, ces hommes du cénacle se com-

prennent sans avoir besoin de se parler, les longs discours sont pour les romantiques. Ici le cognac est afaire de professionnels qui n’ont pas le droit de se tromper tant leur apprentissage est long. Dix ans pour faire partie du cercle, trois ans avant d’oser se prononcer catégoriquement sur une simple eau-de- vie ! Il faut dire que c’est un peu du patrimoine d’Hennessy qui se joue dans cette assemblée… Les choix du comité engagent l’avenir de la maison : si les anciennes eaux-de-vie fnement ciselées par les viticulteurs et les bouilleurs de cru font les cognacs d’aujourd’hui, ce sont bien celles d’aujourd’hui qui feront les cognacs des futures décennies. Ô temps, suspends ton vol ! Ne te perds pas en conjectures dans les volutes alcoolisées d’une jeune eau-de-vie blanche ! « L’art des grands dégustateurs naît de la mémoire sensorielle, explique Yann Fillioux, c’est pourquoi il faut des années pour se constituer sa bibliothèque olfactive. C’est très important aussi de déguster toujours au même endroit, avec les mêmes personnes et dans les mêmes conditions ; il faut être en confance, travail- ler dans la sérénité. » Dans un coin de cette mémoire sensorielle, là où le nez du cognac tutoie le Saint Graal, il y a par exemple ce grand cognac de 1947 déniché à Lignières-Sonne- ville, au cœur de la Grande Champagne, et dont Yann Fillioux conserve encore un souvenir ému. Il y a aussi parmi les sommets cette Petite Champagne d’Archiac élaborée par la famille Bégouin en 1900, ou encore cette petite merveille d’eau-de-vie réalisée par Pierre Fillioux en 1972. Des moments de grande émotion que seuls les grands amateurs de grands cognacs peuvent comprendre. Une défnition de la perfection ? « Pour moi, c’est la somme de la pureté et de l’élégance », s’enfamme l’inventeur du fameux Paradis Impérial, « rien ne domine, rien n’est visible, pas de goût de fruit ou de parfum de feur qui s’impose au nez, il n’y a alors rien à dire, c’est tout simplement merveilleux, pas ostentatoire et pas racoleur, juste parfait. » On n’est pas n° 1 du cognac par hasard.

Page de gauche, de gauche à droite: Renaud de Gironde, Benoît Gindraud, Alain Deret, Jean- Pierre Vidal et Yann Fillioux, membres du comité de dégustation.

Absents ce jour-là: Olivier Paultes et Thibaut Hontanx.

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