Livre Cognac Terre de passions

Terre de passions

Les Éditions du Bottin Gourmand

Terre de passions Cognac

Les Éditions du Bottin Gourmand

Philippe Boujut, Président, et Laurent Martin, Directeur général du Crédit Agricole Charente-Périgord.

«

Ce livre est un voyage au cœur de la terre de Cognac. Des hommes et des femmes nous ont parlé de leurs passions, de leur métier, de leur art, de leur vie, indissociables de ce produit unique qu’est le cognac. Une eau de vie… comme une ode à la vie.

»

Sommaire

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Cognac ABK6 10 Cognac A.E. Dor 12 Distillerie Auxire 14 Cognac Bache-Gabrielsen 16 Jean-Louis Barraud 18 Cognac Paul Beau 20 Séverine et Delphine Belin 22 Cognac Bisquit 24 BNIC 26 Alain Bodin 28 Philippe et Ludovic Boujut 30 Famille Brard-Blanchard 32 Thierry et Thibault Brisson 34 Jean-Philippe Bureau 36 Cognac Camus

38 Chaudronnerie Chalvignac 40 Chaudronnerie cognaçaise 42 Isabelle Clochard-Gualbert 44 Conservatoire du vignoble charentais 46 Anne-Laure et Blandine Conte 48 Famille Couillebaud 50 Courvoisier 54 Jean et Patricia Croisard

56 Bouchages Delage 58 Cognac Delamain 60 Xavier Desouche 62 Nadine Dhiersat

64 Famille Dubois 70 EuroWineGate

130

Marnier Lapostolle

132

Martell

72 Amaury Firino-Martell 74 Domaine de Fontaulière

136

Fabrice Maufras

138

Alain Menudier

76 Famille Forgeron 78 Christophe Forget 80 Cognac Frapin

140

Cognac Meukow

142

Distillerie Mitterrand

144

Cognac de Montleau

82 Cognac Jules Gautret 84 Pépinières Gergaud 86 Cognac Giraud 88 Distillerie de Gironde 90 Cognac Gourmel 92 Cognac Guillon-Painturaud 94 Jean-Michel Guindant 96 Distillerie Guionnet 98 Cognac Hardy 100 Hennessy 104 Cognac Hine 106 Pépinières Jallet 108 Philippe Joly 110 François-Xavier Labrousse 112 Jean-Bernard de Larquier 114 Cognac Larsen 116 Jean-Luc Lassoudière 118 Bernard Laurichesse 120 Olivier et Anne-Sophie Louvet

146

Cognac Otard

148

Claude Petiniot

150

Famille Pinard

152

Distillerie Piron

154

Cognac Prisset

156

François Raby

158

Cognac Ragnaud-Sabourin

160

Rémy Martin

164

Guilaume et Stéphane Roy

166

Tonnellerie Seguin Moreau

168

Tonnellerie Taransaud

170

Marie-Pierre et Jean-François Terral

172

Distillerie Tessendier

174

Claude Thorin

176

Cognac Tiffon-Braastad

178

Cognac Vallein-Tercinier

180

Famille Valtaud

182

Distillerie Veillon

184

Christophe Véral

122 Anne Maisonneuve 124 Patrick Mallinger

186

Tonnellerie Vicard

190

Index

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Comme un hommage à une terre de passions

N ous nous sommes lancés dans l’aventure de la publication d’un livre dédié au cognac, convaincus que ce produit est à plus d’un titre exceptionnel et reconnu comme tel depuis des siècles et dans le monde entier. En efet le cognac, c’est un état d’esprit. Qu’il soit forgé à l’international par l’envie de conquête des grandes maisons, ou distillé artisa- nalement par les viticulteurs, le cognac est le refet d’une quête passionnée de l’exception. Le cognac, c’est une âme. Quoi de mieux alors que de présenter des portraits de celles et ceux qui l’éla- borent au quotidien pour lui conférer une identité rare, qu’il tire depuis toujours du mariage de l’humain et d’un terroir. Le cognac, c’est un art de vivre. Au-delà des acteurs qui illustrent tous, à travers des expériences uniques et des produits diférents, le même amour oscillant sans cesse entre rigueur et créativité, ce livre montre que derrière cette flière, c’est toute une région qui est en marche. Ce livre présente donc une centaine de portraits de viticulteurs, de négociants et de chefs d’entreprise engagés et représentatifs de la flière cognac ; c’est une première que nous sommes très fers de vous faire découvrir avec Cognac, Terre de passions. La passion est bien le fl conducteur de tous ceux qui ont réalisé ce livre et de tous ceux qui en font la matière. Femmes ou hommes, jeunes ou plus vieux, viticulteurs ou bouilleurs de profession, pépiniéristes ou tonne-

liers, vendeurs directs ou négociants… tous ceux que nous avons rencontrés ont cette même obsession d’élaborer des produits de qualité qui font la ferté de toute une région et qui incarnent sur tous les marchés l’excellence française. Paradoxalement, au-delà du prestige des marques séculaires, le monde du cognac reste un univers mystérieux et souvent méconnu. Élaboré par près de 5 000 viticulteurs sur 75 000 hectares de vignobles en Charente et Charente-Maritime, c’est une sorte de miracle de l’intelligence humaine. D’un vin blanc un peu acide, l’alambic, le vieillissement, la sélection et l’assemblage font le plus noble des alcools, une alchimie faite de traditions séculaires et de constantes innovations. Avant d’être une belle réussite économique, le cognac est l’afaire de viticulteurs obstinés qui tiennent le gouvernail de la qualité contre vents et marées. Ils passent ensuite le relais aux négociants qui vont assembler, vieillir selon un cahier des charges propre à chaque «maison », puis commercialiser le plus prestigieux des spiritueux dans le monde entier. C’est à cette chaîne de l’excellence que nous avons voulu rendre hommage ici. Nous remercions très chaleureusement tous ceux et toutes celles qui ont accepté de s’exprimer sur ce rapport passionnel qu’ils entretiennent avec le cognac. Nous espérons que vous aurez autant de plaisir à feuilleter cet ouvrage que nous en avons eu à le réaliser.

PS : Bien entendu, nous ne pouvions prétendre à l’exhaustivité dans cette «galerie de portraits» et bon nombre d’acteurs importants de la flière mérite- raient tout autant de fgurer dans ces pages.

Gérard Seguin, Président de Centre-Ouest Éditions, Directeur de « Terres de Cognac » , et Antoine Mornaud, Directeur des Marchés spécialisés, Crédit Agricole Charente-Périgord.

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ABK 6 Cognac

Le pari de la jeunesse et de la modernité

Élodie Abécassis, 28 ans, dirige les domaines de son père Francis depuis cinq ans déjà. Sa sensibilité artistique et son intérêt prononcé pour le développement d’entreprise sont autant d’atouts pour l’essor des cognacs ABK6, Leyrat, Reviseur et Double Crown. E lle a pris la direction des domaines Francis Abécassis en 2009, à 23 ans seulement. Un âge bien jeune pour accéder à cette fonction, qui lui a valu des commentaires. Mais pour Élodie Abécassis, ce n’est pas un sujet. Elle l’assume, sans en faire cas. « Je ne me pose pas la question. Homme ou femme, jeune ou pas, c’est pareil. Je voyage beaucoup pour avoir

j’ai senti cette fameuse “part des anges”. C’était magique.» Il faut dire qu’Élodie Abécassis est depuis toujours curieuse des odeurs. « J’ai les sens éveillés en perma- nence, en cuisine comme en forêt » , souligne-t-elle. Cette sensibilité s’explique sans doute par sa fbre artistique, un autre atavisme après la vigne. Elle joue du piano, par pur plaisir, depuis qu’elle a cinq ans : « Chopin ou Schubert, le plus souvent. » Mais elle ne s’arrête pas à la musique, comme en témoignent les œuvres d’art exposées au domaine de Chez Maillard à Claix. LE GOÛT DU DÉVELOPPEMENT Après un cursus à HEC, Élodie Abécassis assure donc la direction de l’entreprise familiale, qui compte 240 hectares de vignes et regroupe à ce jour quatre marques de cognac : ABK6, Leyrat, Reviseur et depuis 2010 Double Crown. De sa formation commerciale, Élodie garde un inté- rêt particulier pour le développement d’entreprise. « J’aime construire un réseau de distributeurs. Je voyage beaucoup pour avoir un retour sur nos produits. Le fait que nous maîtrisions l’ensemble de la chaîne de fabri- cation, de la vigne à la bouteille, interpelle beaucoup. Les questions de nos clients sont constructives. Mon métier est vraiment très complet » , se réjouit-elle.

un retour sur nos produits. » «

J’avance, c’est tout. Avec mes responsabilités, je sais que je dois être rigoureuse », dit celle qui parle trois langues, et se débrouille aussi en chinois. L’aventure ABK6 a commencé en 2002, lorsque son père Francis, amoureux de la vigne depuis toujours, crée en Charente les domaines Francis Abécassis. En 2005, il lance la marque ABK6, un « sigle-rébus » utilisé par ses trois flles pour signer leurs textos. En 2002, Élodie a 16 ans, s’apprête à passer son bac et vient découvrir la nouvelle activité de son père. «Je ne me souviens pas de la première fois que j’ai bu du cognac, mais plutôt de la première fois que je l’ai senti. Le salon de mes parents étant attenant au chai de vieillissement,

Élodie Abécassis, directrice des domaines Francis Abécassis.

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A.E. Dor Cognac

Des produits de haute lignée

À Jarnac, la petite maison A.E. Dor conçoit des cognacs haut de gamme pour les grands restaurants et les amateurs français ou étrangers. Pierre- Antoine Rivière, le propriétaire, poursuit l’œuvre entamée par ses illustres prédécesseurs. O ui, le Paradis existe à Jarnac ! C’est le nom du chai mythique et secret, inchangé depuis sa création, de la maison A.E. Dor. Il renferme des eaux-de-vie vieil- lies en fûts de chêne pendant des décennies, 70 ans et plus, avant d’être recueillies dans des dames-jeannes cachetées à la cire. Nombre de ces prestigieux mil- lésimes sont antérieurs au phylloxéra et datent de 1805, 1811, 1834, 1840... Jean-Baptiste Dor crée la maison en 1858 mais c’est son fls, Amédée Édouard Dor, qui lui donnera véri-

tablement ses lettres de noblesse par sa recherche passionnée et opiniâtre des meilleurs cognacs et eaux-de-vie. Ce n’est pas pour rien que les profes- sionnels de l’époque l’appelaient « l’antiquaire du cognac » . Aujourd’hui, ces précieux millésimes sont choyés par Pierre-Antoine Rivière qui a pris la suite de ses parents, Odile et Jacques Rivière, à la tête d’une entité fère de ses attaches familiales et de son indé- pendance, rachetée en 1981. LA CONSTANCE DU GOÛT La maison écoule environ 900 000 bouteilles par an dans 27 pays, la Finlande et la Russie en tête. En toute discrétion, A.E. Dor cultive une réputation bâtie sur ses cognacs de luxe pour les grands restaurants étoilés, les caves, les magasins spécialisés ou les clients fortunés. «On recherche la qualité avant la quantité, explique Alain Bouron, responsable fnancier d’A.E. Dor. La personne qui déguste un de nos cognacs doit toujours retrouver un goût identifable.» Voilà la philosophie de la maison pour sa large gamme, du VS au Hors d’Âge, assemblage d’eaux-de-vie issues des crus Petite Cham- pagne, Grande Champagne, Borderies et Fins Bois. Elle vaut également pour ses Grandes Réserves numé- rotées, du n°6 au n°11, qui font sa réputation. Le négociant peut aussi se targuer d’avoir le privilège d’une autorisation spéciale de l’administration française pour vendre ses très vieux cognacs à leur degré naturel, soit en dessous des 40° d’alcool!

Celui qui déguste un de nos cognacs doit toujours retrouver un goût identifiable. » «

Alain Bouron, responsable financier.

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Auxire Distillerie

Bouilleur de profession, fidèle au bras armé

Fidélité exemplaire que celle de Jean-Michel Auxire, bouilleur de profession à Jarnac, envers Hennessy. La réciproque est vraie, puisque la maison au bras armé est à l’origine de 90% de l’activité de la distillerie de Jean-Michel Auxire. Et ce, depuis des lustres…

L’homme s’est installé en janvier 1979 sur l’exploitation familiale de 20 hectares, qu’il a fait grossir petit à petit. «Même chose pour la distillerie : j’ai repris l’activité en 1989, suite au départ en retraite de mon père ; elle était alors équipée de quatre chaudières de 25 hl, et main- tenant il y en a sept », enchaîne le viticulteur de 57 ans, qui ne cache pas qu’en haute activité, il lui en faudrait huit. La solution : « Je loue une distillerie. » DISTILLATEUR EXCLUSIF Ne pas croire pour autant que la période a toujours été aussi rose pour le distillateur jarnacais. La période des vaches maigres, au pire de la crise du cognac, il a connu. Ce qui l’a sauvé : «Mes relations avec la maison de négoce Hennessy, qui ne m’a jamais lâché. » En contrepartie, le distillateur assure un suivi sans faille d’une vingtaine de livreurs pour le compte du négociant. « Je suis classé distillateur exclusif pour cette maison de négoce. » Et il tient à le rester…

E ntre Jean-Michel Auxire et la maison de cognac Hennessy, c’est une histoire qui dure… depuis des générations : «Dans l’arbre généalogique de la famille, je représente la cinquième génération. Et je suis bien incapable de dire qui, de mon père ou même d’un autre avant, a conclu ce contrat avec Hennessy. » Un contrat moral, puisque jamais rien n’a été écrit. «Voilà comment cela marche dans notre profession ! Mais avec les normes réglementaires de traçabilité, je doute que ce système verbal reste longtemps en usage », reprend celui qui gère en parallèle un vignoble de 60 hectares sur Jarnac.

Jean-Michel Auxire, bouilleur de profession à Jarnac.

Je suis incapable de dire qui, de mon père ou même d’un autre avant, a conclu ce contrat avec Hennessy. » «

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Bache-Gabrielsen Cognac

Il incarne l’avenir du cognac

R eprésentant, à 37 ans, de la quatrième génération de négociants de la famille, Hervé Bache-Gabrielsen est une étoile montante du cognac. À l’image de la maison qu’il représente, maintenant bien installée dans le « top 10 » du négoce de la place de Cognac. « Je suis un peu nordique comme mon père. Je ne laisse pas trop transparaître mes émotions. Je ne suis pas un Italien ! » reconnaît-il en évoquant ses lointaines origines norvégiennes. Humour corrosif, sensibilité intérieure, capacité d’observation, voilà quelques traits qui caractérisent le jeune chef d’entreprise. Il ne cache pas la multipli- cité de ses centres d’intérêt. D’ailleurs, son goût pour la musique et la guitare, qu’il pratiqua jeune, a abouti à un partenariat entre la maison qu’il dirige et West Rock à Cognac. Aujourd’hui, il pratique en loisir deux Hervé Bache-Gabrielsen a succédé à son père, Christian, à la tête de la maison aux origines norvégiennes. Depuis 2009, il perpétue la tradition familiale en y ajoutant une touche de modernité rafraîchissante.

types d’activités d’endurance assez antinomiques : l’ultra-marathon, qui consiste à courir de longues distances dans des zones de pleine nature, et ce qu’il appelle le «marathon gastronomique » . « J’aime décou- vrir des tables avec mon frère » , précise-t-il. DES CHAIS À LOUZAC-SAINT-ANDRÉ Si Bache-Gabrielsen, de par ses racines et son histoire, conserve une place de choix sur le marché scandinave et reste numéro un en Norvège, sa large gamme de cognacs (Classic, Pure & Rustic et Cuvées) a su conquérir le reste du monde à raison de 120 000 caisses par an, avec une croissance régulière et maîtrisée depuis 15 ans. Négociant et éleveur, la maison se fournit auprès d’un réseau d’environ 150 viticulteurs répartis principalement dans les crus de Grande Champagne, Petite Champagne et Fins Bois. L’avenir, Hervé Bache-Gabrielsen y croit raisonna- blement. «On boira moins mais mieux dans le futur. Ce qui est positif pour un alcool haut de gamme comme le cognac » , pense-t-il. Preuve de cette foi en l’avenir, les travaux d’un nouveau chai de stockage et d’un chai pour l’assemblage vont débuter à Louzac-Saint-André dès 2015 ! En attendant de réaliser les bureaux et la ligne de mise en bouteilles qui resteront encore ancrés quelque temps dans le centre de Cognac, comme lorsque son arrière-grand-père, Tomas, fondait la maison en 1905. Toujours entre modernité et tradition !

«

On boira moins mais mieux dans le futur. C’est positif pour le cognac. »

Hervé Bache-Gabrielsen, P-DG de Bache-Gabrielsen à Cognac.

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Barraud Jean-Louis

Viticulteur par pure conviction

La viticulture et le cognac, c’est mon univers depuis toujours. Fils et petit-fils de producteurs de cognac, Jean-Louis Barraud a d’abord suivi une formation en électronique avant de reprendre l’exploitation familiale, en Charente-Maritime. Il est aujourd’hui le président de la coopérative Unicognac. J ean-Louis Barraud, 55 ans, est viticulteur à Colombiers, en Charente-Maritime, depuis 1987. Il y exploite 21 hectares de vignes en Fins Bois, dont deux dédiés aux vins de pays charentais, mais aussi 60 hectares de céréales. Cet homme discret est également président, depuis fn 2008, de l’entreprise Unicognac, une fliale de la coopérative Charentes Alliance. «

J’ai participé très tôt aux travaux des champs et de la vigne. C’est mon univers depuis toujours. » Jean-Louis Barraud obtient ensuite un diplôme universitaire de décideur économique agricole, et s’engage dans le système coopératif, comme son père et son grand-père avant lui, pour en gravir petit à petit tous les échelons. UN PRODUIT DE GRANDE FACTURE Aujourd’hui, le président d’Unicognac, société qui commercialise les cognacs et pineaux des Charentes Jules Gautret, mais aussi les vins de pays 6alassa et Père Fouras, se dit satisfait de la position de l’entreprise face aux grands négociants. «Notre cognac est un produit de grande facture. Nous n’avons pas à rougir de ce que nous vendons. J’aime cette aventure commer- ciale, car un marché n’est jamais acquis. » Mais la plus grande ferté de Jean-Louis Barraud est de loin la réussite de ses enfants. Tous trois sont ingé- nieurs. L’aînée, 30 ans, est spécialisée en biotechno- logie, la suivante, 26 ans, en mécanique, et le dernier, 23 ans, en agronomie option viticulture-œnologie. « Nous ne les avons jamais forcés, mais ils ont bien vu qu’en viticulture, il faut travailler dur. Il fallait donc qu’ils s’y mettent aussi » , sourit-il. Le fls de Jean-Louis Barraud semble « proche de la terre » , et son père espère qu’il reprendra l’exploitation fami- liale. Pour autant, pas question de lui forcer la main : « C’est lui qui décidera. »

«Mon grand-père maternel faisait de l’élevage, et mon grand-père paternel et mon père étaient viticulteurs » , souligne Jean-Louis Barraud. Le devenir à son tour était dans l’ordre des choses, mais après son bac, Jean-Louis Barraud fait d’abord une incursion dans l’industrie, en suivant une formation d’électronicien. Il intègre une école d’ingénieurs à Paris, mais peine à s’adapter à la vie dans la capitale. La Saintonge lui manque. « Je suis revenu sur l’exploitation après mon service militaire, j’avais 23 ans, explique-t-il. Enfant, j’étais comme beaucoup passionné par les tracteurs.

»

Jean-Louis Barraud, viticulteur à Colombiers.

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Paul Beau Cognac

Colette Laurichesse, une matheuse dans les vignes

garçons d’un couple qu’ils emploient. L’un des deux, Jean Petit, le père de Colette, devient viticulteur. Au fl des années, des liens si forts unissent les Beau à Jean Petit et sa femme Simone que Denise Beau, devenue veuve, décide d’adopter légalement les flles des époux Petit. HUMILITÉ FACE AU TEMPS Denise Beau, puis Simone Petit, et désormais Colette : depuis trois générations maintenant, ce sont des femmes qui supervisent les assemblages des cognacs Paul Beau, réputés pour leurs très vieilles eaux-de-vie. Colette, devenue une Laurichesse après son mariage avec Michel, a pour particularité de ne pas boire d’alcool. Mais grâce à une excellente mémoire, elle sait précisément dans quels chais de vieillissement trouver les eaux-de-vie pour les meilleurs assemblages. «Mon savoir, je le tiens de ma mère, Simone Petit. Je présume, et les hommes confrment ou infrment à la dégustation, mais ce second cas arrive fnalement peu souvent » , souligne dans un sourire celle qui n’aime rien tant que l’atmosphère des chais. «Notre métier commence vraiment à la distillation, estime-t-elle. Pour moi le cognac, c’est une responsa- bilité. Nous proftons du savoir-faire et du bon travail des gens qui étaient avant nous, et nous sommes res- ponsables de ce que nous allons laisser. Nous devons constamment projeter notre réfexion. Cela donne une grande humilité face au temps. Et des nerfs d’acier ! »

Depuis trois générations, ce sont des femmes qui supervisent les assemblages des cognacs Paul Beau. Colette Laurichesse fonctionne à la mémoire, et à l’instinct. S i elle n’avait pas produit du cognac, elle aurait fait des mathématiques fondamentales. Colette Lauri- chesse est la présidente-directrice générale de la société anonyme du Vieux Colombier, qui exploite 129 hectares de vigne en Grande Champagne et produit les cognacs Paul Beau. Elle se présente comme

Mon savoir, je le tiens de ma mère. » «

le « gratte-papier » de la famille, et n’y voit aucune connotation négative, simplement le refet de son goût, depuis toujours, pour les chifres. La saga Paul Beau commence avec un « visionnaire », Samuel Beau, épicier-quincailler à Segonzac à la fn du xix e siècle. À la suite de la crise du phylloxéra, il décide de reconstituer un vignoble. Il a perdu un fls, il veut la meilleure éducation pour celui qui lui suc- cédera, Paul. Il l’envoie donc en Angleterre, d’où Paul reviendra parfaitement bilingue. Mais avec sa femme Denise, Paul Beau ne sera pas épargné par la vie. Ils perdront, à plusieurs années d’intervalle, leurs deux flles. Les circonstances les amèneront à prendre en charge l’éducation des deux

Colette Laurichesse, viticultrice à Segonzac.

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Belin Séverine et Delphine

Nous sommes deux sœurs jumelles…

Double commande féminine pour un vignoble familial en plein développement. B ordelaises de la campagne, Séve- rine et Delphine Belin ont déjà cela dans le sang lorsqu’elles décident, il y a quatre ans, de succéder à leur oncle à Macque- ville, supplétives de leur frère aîné promis à la reprise. Sans solliciter d’aide. Pas un revirement, une étape « supplémentaire » , voulue, dans leur parcours d’urbaines qui passent leurs vacances entre les rangs de vignes, entre vendanges et distilla- tion. Leur « première » vendange n’était qu’une de plus. «Nos premiers achats de vignes ont été importants. Notre rêve devenait réalité. » BTS « viti-œno » en poche au sortir d’Enita, l’école d’agronomie, elles ont tout fait pareil, « loin d’être des inconnues dans le village ». Au programme, 25 ha d’Ugni blanc et Colombard, 1,14 ha de Sauvignon, et 1 ha de rouge en Fins Bois, en société avec l’oncle majoritaire et le frère. Une « vieille » production familiale de cognacs en vrac pour le négoce et de pineaux en bouteilles, du vin de pays de manière anecdotique. Elles « perpétuent »,

« poursuivent », « feront évoluer ». Une suite « logique » de deux sœurs, seules flles viticultrices dans une commune où les fls de viticulteurs sont nombreux. PAS DE SCISSION DES TÂCHES « La reprise est moins évidente lorsqu’elle est familiale : il faut assumer l’histoire, la hiérarchie, instaurer la confance dans les tâches. Et en tant que flles, il faut démontrer plus. Pour tenir tête, être deux, c’est plus facile. » L’objectif des ventes à la bouteille, après avoir refait les gammes, va les faire verser dans l’œnotou- risme. Pas de scission des tâches. Chacune a sa part d’administratif. «Nous aimons toutes les deux la technique. » L’une est plus « viti », dans la vigne, l’autre plus œnologie, dans les chais. «Notre prochain alam- bic nous donnera plus de souplesse et nous pourrons prétendre à des hectares supplémentaires…» Une vinifcation maîtrisée, des stockages de deux ans, vendus sans contrat : Delphine et Séverine Belin, les pieds dans des charentaises familiales, veulent « plus tard » détourner le touriste vers Macqueville. Des projets structurés en tête : des chambres d’hôtes, des gîtes « parce qu’existent les lieux » et que « les ventes doivent se développer ». Positives, elles ne négligent pas de vieillir, jusqu’à un cinquième de la récolte. Une continuité. Tout comme perdurent les luttes contre les maladies des bois, dans un plan de renouvellement du vignoble au rythme d’un hectare par an.

Séverine et Delphine Belin, viticultrices à Macqueville.

La reprise est moins évidente lorsqu’elle est familiale. En tant que filles, il faut démontrer plus. Pour tenir tête, être deux, c’est plus facile. » «

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Cognac

Bisquit

Un baroudeur en première ligne

Nous vendons du rêve, alors nous sommes les premiers à rêver ! «

née Pinard, est issue d’une famille de distillateurs depuis le xvii e siècle, raconte-t-il dans le salon du château Pellisson, au cœur de Cognac. Mon grand-père pater- nel est arrivé de Paris en 1925. Il a racheté à Jarnac une verrerie de négoce, la verrerie Chappe. J’y ai travaillé avec mon père jusqu’en 1994. » Vincent Chappe monte ensuite une société de conseil en packaging, puis travaille sept ans chez Alizé (une liqueur de cognac), en tant que directeur marketing. LA BOUTEILLE DATAIT DE 1844 Le président de Bisquit a conscience d’œuvrer pour un spiritueux historique. «Nous avons derrière nous 190 ans d’histoire, et nous espérons au moins autant devant », souligne celui pour qui le souvenir le plus fort reste la première fois qu’il a goûté un cognac ante phylloxéra. « J’avais une vingtaine d’années, nous étions entre amis. La bouteille, sans marque, datait de 1844. Ce fut une révélation. Ce souvenir est forcément sub- jectif, mais nous vendons du rêve, alors nous sommes les premiers à rêver ! » Vincent Chappe part régulièrement à la découverte des consommateurs de cognac à travers le monde : « Il faut savoir pourquoi, à quelle heure, avec qui ils boivent du cognac . C’est l’essence même de notre métier. Voilà pourquoi le cognac est connu dans le monde entier : il a toujours eu de grands baroudeurs à son service. » Si la maison Bisquit ne communique pas sur ses chifres, elle afche «des objectifs à la fois ambitieux et raisonnables ». Elle est assez logiquement présente sur les marchés africains, Afrique du Sud et Nigeria en tête, mais aussi en Europe, en Russie et en Chine.

Grand amateur de rugby et de sport en général, Vincent Chappe, le président de la maison Bisquit, Dubouché et Cie s’attache depuis cinq ans à redonner à la marque au griffon son éclat d’antan. A vec son mètre quatre-vingt- douze, on pourrait l’imaginer amateur de basket, mais le président de la maison Bisquit (le « t » ne se prononce pas !) est en réalité un mordu de ballon ovale. « Le rugby m’a aidé à devenir ce que je suis » , estime Vincent Chappe, ancien deuxième ligne sur les terrains. Quand, en 2009, le groupe sud-africain de vins et spiritueux Distell rachète à Pernod-Ricard la maison de négoce, celle-ci est « en sommeil ». Elle avait été achetée, en pleine période faste, dans les années 60, par Paul Ricard. Pour lui redonner vie, Distell cherche une personne dotée d’un solide réseau, ayant déjà dirigé des PME. Cela cadre parfaitement avec le profl de Vincent Chappe. L’homme a un parcours professionnel déjà bien rempli lorsqu’il prend la tête de Bisquit. «Ma mère,

»

Vincent Chappe, président de Bisquit, Dubouché et Cie.

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Bureau national interprofessionnel du cognac BNIC

Un singulier pluriel

Du bureau de répartition des eaux-de-vie à l’organisme abritant en son sein l’ODG, le BNIC conjugue une pluralité de missions tout en restant bien… singulier. Qu’on l’appelle BNIC ou plus souvent Bureau national, il est l’organisme-pivot de l’ensemble de la filière Cognac. I nstallé au cœur de la cité des eaux-de-vie, dirigé depuis cinq ans par Catherine Le Page et présidé depuis peu par le viticulteur Jean-Bernard de Larquier, le bras séculier de l’interprofession est incontournable. Il constitue même une référence dans le monde des interprofessions. « Le BNIC a été créé en 1946, au lendemain de la seconde guerre mondiale, sous le nom de “Bureau national du cognac ”, explique Catherine Le Page, fondant

aux activités du BNIC, tout à la fois interprofession, chargé de mission de service public, gardien du temple et garant du respect du cahier des charges de l’appel- lation cognac. DEUX FAMILLES SOUS LE MÊME TOIT Jean-Bernard de Larquier expose que cet édifce repose sur un fnancement par les professionnels, au travers des cotisations volontaires obligatoires (CVO) payées chaque année par les producteurs et négociants de l’appellation. Le président précise par ailleurs que «la parité entre les deux familles est la clé de voûte de notre interprofession. Toute la gouvernance repose sur ce principe fondamental. La règle de l’alternance fait que c’est aujourd’hui un viticulteur qui préside le BNIC, mais je n’en suis pas moins le représentant de toute la flière cognac, et je suis tenu dans ce cadre à une certaine neutralité. De toutes les façons, aucune des deux “familles”» (viticulture et négoce) ne peut fonctionner seule. Nous formons un tout uni, un cycle complet, parfois complexe, mais où chacun a sa place et fonctionne en lien avec l’autre.» Et Catherine Le Page d’ajouter que «le BNIC c’est aussi une centaine de personnes au service de la (lière et de ses enjeux, chargées de déployer, au quotidien, les orientations adoptées par les professionnels, et qui savent aussi être force de proposition pour proposer des solutions innovantes et adaptées aux besoins des 5000 res- sortissants de l’interprofession» . Défense, protection et promotion de l’appellation cognac, gestion de la production, innovation, recherche et développement, développement durable de la flière… le BNIC est singulier, pluriel et omniprésent.

alors notamment ses missions sur une délégation de service public pour le compte des douanes et exerçant dans ce cadre le contrôle de l’âge des eaux-de-vie de l’appellation. » A rapidement suivi, en 1947, l’intégra- tion de la Station viticole de l’interprofession, antenne R&D de la flière. C’est en 1960 que le Bureau national devient alors l’interprofession que nous connaissons aujourd’hui : le Bureau national interprofessionnel du cognac. Dernière étape et non des moindres, l’intégration de l’ODG (Organisme de défense et de gestion) en 2010, sous la forme d’une section de l’interprofession, ajoutant encore de la singularité et de la complétude

Catherine Le Page, directeur, et Jean-Bernard de Larquier, président.

«

La notion de parité est la clé de voûte de notre interprofession. »

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Alain

Bodin

Un autre regard sur le cognac

Charentais d’adoption, Alain Bodin se préparait à devenir ingénieur. La rencontre de sa future épouse en décidera autrement. Fort de son regard neuf, l’homme va donner un nouveau visage au lien qui unit la viticulture et le négoce charentais. U n rock endiablé avec Annie au bal du lycée a scellé le destin d’Alain Bodin. Il est alors de passage en Charente, dans le sillage de son père fonction- naire. Ensuite le jeune couple s’installe un temps à Bordeaux, mais l’un et l’autre aspirent à plus de nature — 1968 est passé

contactés, seul Rémy Martin, en la personne d’André Hériard-Dubreuil, répond à son courrier. Plus tard, ce dernier l’encourage à mettre en place un modèle encore peu répandu de partenariat : la contractuali- sation. Un cheval de bataille pour le jeune viticulteur, un engagement collectif qui donne naissance en 2005 à Alliance Fine Champagne. Une victoire à laquelle Alain Bodin ne manque pas d’associer le charismatique Bernard Guionnet, auquel il succède à la présidence de la coopérative. UNE FILIÈRE ORGANISÉE Alain Bodin reste confant quant à l’avenir du cognac : « Je crois au modèle que nous avons mis en place dans le cadre d’Alliance Fine Champagne, mais aussi aux outils de l’interprofession : rendement cognac, prévisions à long terme, syndicat unique, participent à l’équilibre de toute la flière. » Il apprécie par-dessus tout que l’humain soit de retour dans les relations : «Les négo- ciants sortent de leur tour d’ivoire pendant que les viticulteurs sortent de l’ombre », illustre-t-il. Faute de successeur déclaré, la suite reste incertaine sur le registre familial, même si le petit-fls Samuel, 7 ans, adore le parfum de fruits mûrs et d’épices d’un cognac maison de 1927. C’est le cognac « coup de cœur » d’Alain et Annie Bodin. Cette année-là, Abel, le grand- père d’Annie, fait sa première campagne de distillation. Pour l’occasion, il demandera à son fls Guy, âgé de 5 ans, d’allumer le feu sous l’alambic fambant neuf…

par là ! Les parents d’Annie, bouilleurs de cru à Saint- Palais-du-Né, n’espèrent plus de repreneurs et c’est pourtant sur ce vignoble de 26 hectares qu’Alain et Annie opèrent leur retour à la terre, en 1973. Le monde du cognac y gagne le regard neuf de celui qui, après math sup., se préparait à devenir ingénieur. Le cognac est en crise, Alain Bodin arrive sur la pointe des pieds. Il observe beaucoup, apprend de ses ren- contres et s’étonne du peu de lien qui unit les viticul- teurs à leurs clients négociants. Il n’aura de cesse de militer pour plus de transparence et d’engagement dans les achats d’eaux-de-vie. De tous les négociants

Alain Bodin, bouilleur de cru à Saint-Palais-du-Né.

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Les négociants sortent de leur tour d’ivoire, les viticulteurs sortent de l’ombre. »

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J’ai toujours souhaité revenir sur l’exploitation. Je voulais élaborer un produit que j’aime. »

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Boujut Philippe et Ludovic

La transmission du patrimoine comme philosophie

Philippe Boujut est l’héritier d’une longue lignée de viticulteurs à Saint-Preuil. Son fils, Ludovic, l’a rejoint sur l’exploitation en 2010. Ensemble, ils perpétuent la tradition familiale dans un contexte viticole favorable qui a beaucoup évolué depuis les années 70.

Agriculteurs, puis comme président du syndicat de Grande Champagne et du Syndicat général des vigne- rons (2000-2005). Il exercera aussi deux mandats de maire de Saint-Preuil. LESTEMPS CHANGENT Depuis 2010, son fls Ludovic, 34 ans, l’a rejoint sur l’exploitation de 46 hectares, partagés entre Saint-Preuil et Guimps. L’EARL, qui pratique la distillation, est sous contrat avec Rémy Martin, Hennessy et Martell. Ludovic Boujut a fait «Sup de co» à Toulouse avant d’entamer une première carrière professionnelle dans le marketing industriel. «J’ai toujours souhaité revenir sur l’exploitation. Je voulais travailler à mon compte et élaborer un produit que j’aime» , dit-il. Fier de ce retour, Philippe Boujut afrme : « Le patrimoine doit être légué. C’est ma philosophie ! Des gens se sont saignés pour le conserver. » Les temps ont bien changé depuis les années 70, jalon- nées par les crises. «À mon époque, on recherchait le coût de production le plus faible. On entretenait juste le matériel. Aujourd’hui, le marché est plus porteur », reconnaît Philippe Boujut. Et que dire de l’évolution technique. Tout a gagné en complexité ! Comme son père dans les années 90, Ludovic Bou- jut envisage dans le futur de faire de la vente directe. « Je veux être vraiment prêt pour me lancer », dit le jeune homme. « Il ne faut pas le faire à la légère, assure son père. La bouteille, c’est très prenant ! » Un conseil de sage.

M a famille a toujours fait de la vigne, sauf pendant le phylloxéra où elle possédait des mules pour transporter des marchandises en Espagne » , explique Philippe Boujut en épluchant les anciens livres de comptes familiaux conservés à Saint-Preuil. Ces documents d’époque témoignent également que son arrière-grand- père prêtait de l’argent dans les années 20. «À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de banques ! » s’amuse-t-il. Peut-être un signe avant-coureur de son futur parcours au sein du Crédit Agricole Charente-Périgord, dont il est devenu le président… Installé en 1976, en parallèle de sa carrière de viti- culteur et de sa vie de famille, Philippe Boujut aura un parcours syndical bien rempli. D’abord aux Jeunes «

Philippe et Ludovic Boujut, viticulteurs à Saint-Preuil.

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Famille

Brard-Blanchard

Bio de père en fille

la profession. Aujourd’hui, la famille vend 80% de sa production en bouteilles sur les salons spécialisés de toute la France et les réseaux commerciaux bio. Elle développe aussi l’exportation. QUALITÉ ET VIEILLISSEMENT À Boutiers-Saint-Trojan, la famille possède 20 hectares de vignes vendangées manuellement, comprenant une dizaine de cépages diférents qui leur permettent de produire du cognac, des vins de pays, des jus de raisin et autres pineaux. Des produits régulièrement récompensés dans les concours régionaux ou natio- naux, comme le Concours général agricole de Paris. «On recherche la qualité et le vieillissement maxima », afrme Jacques. Sa flle, Sophie, l’a rejoint sur l’exploi- tation à partir de 1999, enrichie d’une expérience viticole en Australie. «Ce voyage m’a apporté un regard nouveau sur la façon de travailler. En plus, j’ai appris l’anglais», dit-elle. À 37 ans, du haut de son mètre quatre-vingts, cette ancienne basketteuse qui a évolué en Nationale 2 à Cognac et La Couronne, a su apporter toute sa jeunesse et sa créativité à la société. Chez Brard-Blanchard, on est d’ailleurs en train de refaire l’étiquetage des bou- teilles. Un cognac XO a été créé avec des eaux-de-vie du même millésime ! Dernière innovation atypique sortie du chai : La Folle blanche. Une eau-de-vie blanche aux notes fruitées avec une légère pointe de verdeur, issue du cépage ancestral du cognac. «On voulait retrouver la fnesse des cognacs d’antan », confe Sophie Laguerre.

Le respect de l’environnement et la recherche de la qualité sont les deux valeurs fondamentales recherchées par Jacques Brard-Blanchard et sa fille Sophie Laguerre. En culture biologique à Boutiers-Saint-Trojan depuis les années 70, la famille a su développer une gamme de produits écoulés dans toute la France.

A deux ans près, il aurait pu être le pionnier de la viti- culture biologique dans la région. Finalement, c’est l’oncle Pinard, de Foussi- gnac, qui lui a ravi la pre- mière place. Jacques Brard- Blanchard, 67 ans, s’est converti à la méthode Lemaire-Boucher en 1972, « dans le dos de ses parents » , à cause d’une allergie à un produit de traitement. « La bio était mal vue à l’époque » , se souvient-il. D’autant plus qu’il était un peu « baba cool » dans l’âme et jouait de la guitare dans les orchestres de bal. Heureusement, les temps ont changé. Les pratiques biologiques ont gagné en légitimité auprès des consommateurs et font lentement leur chemin dans

Jacques Brard- Blanchard et Sophie Laguerre, viticulteurs à Boutiers-Saint-Trojan.

«

La viticulture biologique était mal vue à l’époque.

»

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Brisson Thierry et Thibault

Perfectionnistes des eaux-de-vie

À Juillac-le-Coq, au cœur d’un paysage aux airs

cours de laquelle le bouilleur de cru perdra la moitié de ses contrats. Qu’à cela ne tienne, !ierry Brisson se lance dans l’élevage des eaux-de-vie et s’essaiera même à la diversifcation tout en trouvant du temps, depuis 18 ans, pour sa mission d’administrateur de la caisse locale du Crédit Agricole. LE FRUIT D’UNE ANNÉE DE TRAVAIL Pendant ce temps, !ibault, bac agricole en poche, part en stage dans le vignoble australien. Il en ramène des techniques innovantes qu’il mettra en pratique lors de son installation. Il construit un chai de ven- dange et de vinifcation ultramoderne avec cuve de décantation et maîtrise thermique des vins. Le père a beau avoir le pied sur le frein en souvenir des dif- fcultés passées, il voit aussi l’avenir dans les yeux de son fls. Et ça paie ! Depuis 2009, les eaux-de-vie livrées à Rémy Martin sont primées chaque année ! Sur la lancée, un chai de stockage vient de sortir de terre et un troisième alambic a rejoint la distillerie. Père et fls, aussi perfectionnistes l’un que l’autre, ne cachent pas leur plaisir à travailler ensemble. «Dégus- ter avec toi toutes nos eaux-de-vie au moment de l’inventaire est le moment que je préfère », confe!ierry à !ibault. Pour !ibault, c’est retrouver son père au pied de l’alambic. « Passer le vin dans l’alambic, c’est l’aboutissement d’une année de travail. Déguster la bonne chaufe pour décider de la coupe fait partie de l’héritage et de l’apprentissage familial. »

«

de Toscane, Thierry et Thibault Brisson sont associés depuis six ans. Regard croisé sur ces bouilleurs de cru de père en fils. L e cognac, Tibault est tombé dedans quand il était petit, comme son père et son grand- père avant lui. Son terrain de jeu c’était la distillerie, décor familier et pourtant insolite de ses premiers pas. Il s’est installé en 2009 et depuis, le cognac est en plein boum. Il pose un regard admiratif sur son père qui n’a connu que les crises sans jamais se décourager. «C’est dans l’ADN du bouilleur de cru que d’attendre l’embellie. Les crises m’ont surtout appris l’importance de constituer un stock », expliqueTierry Brisson. En 1990, il a vu passer la bulle japonaise sans pouvoir en profter : il n’avait rien à vendre ! Il jure qu’on ne l’y prendra plus. Très vite, le vignoble s’est agrandi. Il est passé de 9 hectares en 1984 à plus de 40 hectares aujourd’hui. Un alambic s’est imposé en 1992, puis un deuxième. C’était juste avant une nouvelle crise du cognac, au

Les crises m’ont surtout appris l’importance de constituer

un stock. »

Thibault et Thierry Brisson, bouilleurs de cru à Juillac-le Coq.

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Bureau Jean-Philippe

Heureux dans son métier

Soif d’indépendance, bon sens et amour du métier ont régi le parcours de Jean-Philippe Bureau, archétype en quelque sorte du viticulteur charentais.

volumes vendus en bouteilles étant marginaux, Jean-Philippe Bureau se recentre sur la vente de sa récolte au négoce. « Et grâce à la qualité de mes eaux- de-vie, j’ai pu contracter avec toutes les grandes maisons, y compris Marnier-Lapostolle. J’ai conscience d’être un privilégié. » UNE CERTAINE QUALITÉ DE VIE Les années difciles sont passées, Jean-Philippe Bureau a agrandi son vignoble (35 hectares aujourd’hui) de façon raisonnable. Cette surface qu’il n’augmentera pas et qu’il exploite avec un seul salarié devrait lui permettre, bientôt, d’accéder à une certaine qualité de vie : «Aujourd’hui je suis heureux dans mon métier, à travers toutes les étapes de l’élaboration du produit, de la taille à la distillation. La distillation surtout, un moment magique ! Découvrir les arômes de son eau de vie au sortir de l’alambic, c’est un bonheur. Et cela change souvent selon les millésimes », souligne ce passionné dont les meilleurs souvenirs sont liés à cette richesse aromatique qu’il a pu valoriser dans les concours, quand il faisait de la mise en bouteilles. Jean-Philippe Bureau ne se fait pas de souci pour l’avenir du cognac : «Nous avons un produit qui n’est pas périssable et un potentiel de développement impor- tant sur toute la planète. On ne maîtrise pas tout certes, mais la tendance est bonne. »

«

P our faire un bon cognac, il ne faut pas brûler les étapes, mais laisser le temps au temps, et veiller à ce qu’il mûrisse à son rythme, en harmonie avec son environnement. Le parcours de Jean-Philippe Bureau, viticulteur bouilleur de cru à Saint-Palais-du-Né, s’inscrit un peu dans cette philosophie. Ce quinquagénaire a toujours avancé sans prise de risques insensés, avec ce bon sens propre aux gens de la terre. Sans pour cela renoncer à inves- tir aux moments opportuns. Il témoigne : « Je me suis installé en 1988, sur une quinzaine d’hectares. C’était une structure sufsante pour vivre de mon métier.» Le contexte étant favorable, il décide de faire monter un alambic. Avec un double objectif : mener le produit jusqu’au bout et se constituer un stock. «La crise est arrivée. Pour essayer de compenser la chute de mes revenus et parce qu’il était motivant de créer son propre produit, j’ai initié une activité de vendeur direct. » Ses

Nous avons un produit qui n’est pas périssable et

un potentiel de développement important… »

Jean-Philippe Bureau, viticulteur à Saint-Palais-du-Né.

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Cognac

Camus

Famille et terroir, les valeurs de la Grande Marque

de fliales, en Chine (2007), aux États-Unis (2008), au Vietnam (la même année) et plus récemment en Russie (2012). Ces fliales sont renforcées par une équipe marketing qui intervient sur les diférents marchés. Pour Camus, cultiver sa diférence, c’est aussi se démarquer d’une standardisation du produit trop fgée. Un choix que revendique Patrick Léger, maître de chai et responsable des domaines viticoles du cognac à la croix tréfée : « Il y a chez Camus une réelle volonté de trouver le meilleur dans chaque cru. Nous sommes très attachés à la notion de terroir à l’inté- rieur de nos crus, d’où un certain goût pour les assem- blages monocrus. Notre VSOP Borderies et le XO Élégance sont la signature de la maison et ils illustrent parfai- tement ce choix. » VERS LE MOMENT «COGNAC PARFAIT» Le souci de la mise en valeur du terroir épouse souvent le goût prononcé de Camus pour l’innovation. Le Camus Ile de Ré a invité au début des années 2000 de nouveaux consommateurs à découvrir la typicité du cru «Bois à Terroir », jamais révélée jusqu’alors. Cette recherche constante de nouveaux consomma- teurs a incité Cyril Camus à travailler sur les instants de consommation du cognac. C’est tout le sens de la nouvelle campagne publicitaire à paraître en 2015, orientée vers « the Perfect Cognac Moment ».

Entreprise familiale parmi les grands du cognac, Camus fait valoir sa différence et son goût prononcé pour l’innovation. C amus la Grande Marque occupe depuis longtemps le 5 e rang du négoce du cognac (400 000 caisses) et ne se présente plus comme « la plus petite des grandes maisons de com- merce » , mais comme la plus grande des petites.

En 2012, cette PME du cognac est devenue une en- treprise de taille intermédiaire (ITE) grâce aux 600(employés qu’elle réunit en divers endroits de la planète. Ils n’étaient que 170 en 2008. Des entreprises qui se développent au point de tripler leur efectif de salariés en moins de dix ans, il y en a peu. Des entre- prises de type familial qui a3chent ce statut d’ITE, il y en a seulement deux dans l’Hexagone. Totalement libre du carcan d’un géant mondial des spiritueux, appuyé sur les valeurs de la famille et du terroir, Camus se développe ainsi depuis 150 ans. C’est la grande ferté du P-DG, Cyril Camus, cinquième du nom à diriger la société. L’indépendance, Cyril Camus a voulu l’acquérir aussi dans la distribution de ses produits, indépendance assortie de la création

Patrick Léger, maître de chai du cognac Camus.

«

Nous sommes très attachés à la notion de terroir à l’intérieur des crus.

»

«

Travailler dans un grand groupe est formateur. J’ai aujourd’hui une approche plus mondialiste de l’entreprise. »

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Chalvignac Chaudronnerie

Une référence de l’alambic charentais

Leader des chaudronniers du cognac, Chalvignac s’est engagé dans une stratégie de diversification. C halvignac, le plus ancien chaudronnier du vignoble du Cognac, a cédé sa petite entreprise en 1981 à Jacques Bel, auparavant directeur de la Wesper, à Pons. À cette époque, la petite entreprise de Jarnac Champagne ne comptait que six salariés et les commandes d’alambics se faisaient de plus en plus rares. Jacques Bel a choisi de diversifer son activité sans abandonner le marché viti-vinicole, où commençaient à se faire jour des besoins de matériel de vinifcation. Très attentif aux technologies de pointe, il a vite acquis une notoriété hors des frontières charentaises. Et quand il a cédé son afaire à son gendre, en 2006, Chalvignac avait pris la dimension d’un groupe fort de six entre- prises, avec 180 salariés et un chifre d’afaires de 20(millions d’euros. Aujourd’hui, Philippe Tizon, le gendre de Jacques Bel, emploie 308 salariés et le chifre d’afaires du groupe est de 45millions d’euros (2013). Une progres-

sion due autant à la personnalité du P-DG qu’à la compétitivité des entreprises du groupe, qui ont élargi leur champ d’action à d’autres vignobles français et étrangers. Les industries cosmétiques et pharmaceu- tiques s’intéressent aussi aux produits Chalvignac. ANTICIPER LES BESOINS DES CLIENTS L’actuel P-DG, outre ses compétences d’ingénieur Arts et métiers, bénéfcie d’une expérience de direc- tion dans le secteur équipements verriers automobiles chez Saint-Gobain, pendant une douzaine d’années. De ces années, il retient que « travailler dans un grand groupe est formateur. J’ai aujourd’hui une approche plus mondialiste de l’entreprise, utile entre autres pour la conquête des marchés de l’export. » Mais si le groupe Chalvignac a progressé d’une telle façon, c’est aussi parce qu’en ciblant mieux son déve- loppement autour de deux axes — le viti-agricole et l’industrie —, Philippe Tizon a diversifé davantage encore ses activités. Et ce, en restant attentif aux besoins de ses clients, voire en les anticipant. D’où la conception de matériels innovants et adaptés à un contexte de coûts de production resserrés. Témoin la chaudière Alpina, qui permet une réduction de la consommation de gaz de 30%. Les avancées en matière de process thermique sont un autre exemple. Néanmoins, le savoir-faire de chaudronnier perdure, plus de 50 alambics sortant des ateliers Chalvignac chaque année. Et le pourcentage des activités viti- vinicoles du groupe se situe encore à 35% du chifre d’afaires global.

Philippe Tizon, P-DG de Chalvignac.

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Chaudronnerie cognaçaise

Le joli parcours d’un autodidacte

Bruno Perez était technicien en automatisation avant de créer, en 2003, avec quelques collègues, la Chaudronnerie cognaçaise. Tout en restant fidèle aux méthodes traditionnelles, l’entreprise est désormais reconnue bien au-delà de nos frontières. B runo Perez, 52 ans, a débuté en tant qu’ouvrier viticole. Celui qui « n’aimait pas tellement l’école » ne s’imaginait sans doute pas, à cette époque, qu’il deviendrait plus tard le patron d’une entreprise de fabrication d’alambics. Cela fait quinze ans qu’il travaille en tant que technicien en auto-

cognac, apprendra vite : la Chaudronnerie cognaçaise emploie aujourd’hui 32 salariés, et son chifre d’afaires s’élève à cinq millions d’euros. Une belle performance quand on sait que l’année de sa création, celui-ci se comptait en centaines de milliers d’euros. DES MARCHÉS EN AMÉRIQUE DU SUD Désormais, l’entreprise exporte même en Amérique du Sud, où l’on élabore des eaux-de-vie de raisin telles que le pisco péruvien et chilien ou le singani bolivien. «Notre force, en plus d’être une entreprise de proximité, c’est d’employer du personnel capable de fabriquer un alambic à la main, souligne Bruno Perez. Il y a encore des gens attachés à cette méthode traditionnelle. » En raison de son parcours, Bruno Perez confe se fer davantage « à la volonté des personnes qu’à leur bagage scolaire. Pour fabriquer des alambics, il n’y a pas d’école, c’est un savoir-faire qui s’apprend sur le tas. C’est un métier dur physiquement. Un alambic de 2 500 litres, c’est tout de même 600 à 700 heures de travail ! » Depuis juin, Bruno Perez a franchi une nouvelle étape dans l’expansion de l’entreprise basée à Merpins. Il préside une holding familiale, baptisée 2C Distillation, qui chapeaute la Chaudronnerie cognaçaise. Avec son fls Maxime, ingénieur en informatique industrielle, qui travaille avec lui, les projets foisonnent.

C’est un savoir-faire qui s’apprend sur le tas. » «

matisation chez Prulho Distillation lorsqu’au début des années 2000, l’entreprise se retrouve en cessation d’activité. Avec cinq anciens de Prulho, il lance alors, en 2003, la Chaudronnerie cognaçaise. Au départ, la société est créée pour assurer la maintenance et l’entretien des alambics. Mais la demande est telle que, dès 2006, la Chaudronnerie cognaçaise fabrique ses premiers alambics. Avec la création de cette entreprise, Bruno Perez se retrouve, lui, le technicien fondu d’automatisation, à devoir faire de la prospection commerciale et de la gestion d’entreprise. L’autodidacte natif de Jonzac, dont les parents ne travaillent pas dans le monde du

Bruno Perez, directeur de la Chaudronnerie cognaçaise.

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