Journal C'est à Dire 108 - Février 2006

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R E T O U R S U R …

L’effroyable fait divers du 16 mars 2002

Elle a 18 ans maintenant. Trois après avoir été sauvagement agressée dans une cave à Saint-Vit par deux adolescentes, ce qui a failli lui coûter la vie, Kelly s’apprête à quitter la région, dans l’espoir de se reconstruire. Mais de là à tourner la page sur ce qui s’est passé, c’est une autre histoire. C’est la première fois que Kelly accepte de parler. Elle a réservé cet entretien exclusif au journal C’est à dire. Kelly : “J’ai besoin de faire le vide”

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Elle quitte la région pour aller là où personne ne connaît son histoire. Pour cette raison, elle a accepté de témoigner, mais à visage couvert.

C’ est à dire : Com- ment vous sen- tez-vous depuis l’agression dont vous avez été victime ? Kelly : Honnêtement, je me sens perdue par rapport aux gens. Je n’ai plus confiance. Par exemple, dès que des personnes se met- tent à parler à voix basse, j’ima- gine un complot. La nuit, je fais des cauchemars dans lesquels on m’agresse ou alors c’est un autre qui se fait agresser. Je ne supporte plus la nuit. Je ne supporte plus de voir un grand couteau posé sur une table. Cela fait partie des choses qui me ramènent inévitablement à ce que j’ai vécu il y a trois ans. Càd. : Vous avez encore peur ? K. : Oui j’ai peur. Particuliè- rement des femmes. Avant que je me fasse agresser, je pensais que le monde était beau, que les gens étaient bons. À mes yeux, maintenant, c’est tout le contraire. Càd. : Avez-vous suivi une thérapie pour vous aider à refaire surface ? K. : J’avais une psychologue. Elle était très bien d’ailleurs. Mais à chaque fois que j’allais la voir, je savais que c’était pour évo- quer cette histoire, alors que de mon côté je cherchais à oublier. À la suite de chaque rencontre, je me sentais mal. J’ai arrêté. Mais je sais aussi que je garde beaucoup de choses en moi. J’ai fait une dépression il y a un an juste avant la rentrée scolaire. J’ai perdu du poids. Ça m’a coû- té deux semaines d’hospitali- sation. Càd. : À quoi vous êtes-vous raccrochée pour continuer à donner un sens à votre vie ? K. : À l’école je pense. Les deux filles qui m’ont agressé ont vou- lu gâcher ma vie. Je me suis pro- mis qu’elles ne gâcheraient pas ma vie professionnelle. Ça a été dur. À un moment donné, j’ai pris énormément de médica- ments pour me calmer, je n’ar- rivais plus à me lever le matin. J’arrivais en retard en cours. À ce sujet, j’ai failli me faire virer

lors de ma première année de B.E.P. sanitaire et social. On m’a donné ma chance, j’ai arrêté les cachets, et j’ai eu mon examen. Càd. : Quelle profession vou- lez-vous exercer ? K. : J’aimerais devenir éduca- teur spécialisé pour aider des jeunes surtout, qui connaissent des parcours difficiles. Càd. : Vos agresseurs sont sortis de prison. Comment vivez-vous cela ? K. : Elles sont sorties au début de l’été dernier. Tout me revient en tête. J’ai peur du noir, je les vois partout, j’ai des sautes d’hu- meur. Alors j’ai décidé de partir de la région. J’ai de trop mau- vais souvenirs ici. Càd. : Vous pensez pouvoir changer en quittant la région ? K. : C’est pour cela que je m’en vais. Mais au fond, je ne sais pas si je changerai un jour. Néan- moins, je pars là où je suis cer- taine de ne connaître person- ne. Là où personne ne connaîtra mon passé. Car aujourd’hui enco- re, où que j’aille, il y a toujours quelqu’un pour dire “c’est toi Kel- ly, la fille à qui il est arrivé cet- te histoire à Saint-Vit.” Quand j’entends ça, lorsque je rentre le. Ma vie sera peut-être vide, mais tant pis, je préfère cela à essayer de faire confiance à des gens. Càd. : Vous êtes venue à ce rendez-vous avec une de vos amies. Quelle confiance lui accordez-vous ? K. : J’ai confiance en elle, mais elle sait que je protégerai tou- jours mon cœur. Vous savez, à propos des deux filles qui m’ont agressé, on se connaissait depuis longtemps. On a partagé notre enfance ensemble, nos premiers secrets d’adolescentes, les pre- chez moi, je suis cas- sée. Finalement, à part ma famille, il n’y a rien qui me retient ici. Je m’en vais donc début janvier avec l’envie de repartir de zéro. Je vais vivre seu-

mières bêtises, et vous voyez ce qui s’est passé. Les gens que je rencontre me disent “Kelly, arrête de voir le mal partout.” Je ne peux pas. Au contraire, je me protège de tout. Je ne veux pas m’attacher. J’ai des doutes sur tout le monde. En effet, je suis peut-être trop méfiante. Ça m’a fait perdre beaucoup d’amis, en particulier mon compagnon à qui je n’ai pas su dire mes sen- timents. Dès que je croise quel- qu’un, je l’analyse, ça devient horrible. Des a priori me vien- nent à l’esprit sur des personnes. J’ai soudain l’impression qu’elles sont méchantes ou qu’elles vont profiter de moi. Je me suis consti- tuée une carapace. Càd. : Finalement, croyez- vous pouvoir tourner la page un jour ? K. : Non, je pense que je ne pourrai pas tourner la page. Par contre, on peut avancer malgré tout dans la vie en étant plus fort, mais oublier, c’est dif- ficile. Le plus dur pour moi, ce ne sont pas tant les coups que j’ai reçus le 16 mars 2002, mais les plaies au moral qu’ils ont laissé. Càd. : Aux douleurs morales s’ajoutent les séquelles phy- siques ? K. : J’ai 21 cicatrices dont 7 à la tête. Ma main gauche ne fonc- tionne plus puis- qu’elles m’ont coupé les poignets. Je n’ai plus aucune sensa- tion. J’adorais pra- tiquer le handball, ça m’est inter- dit. Càd. : Avez-vous eu l’envie de vous venger ? K. : Oui sûrement, mais je ne le ferai pas. Je ne veux pas aller en prison pour elles. Je ne veux pas gâcher ma vie pour elles. Je veux leur montrer au contrai- re que je continuerai à avancer. Càd. : Comment avez-vous vécu le procès qui s’est dérou- lé en deux temps ? K. : J’ai été très déçue par la jus- tice. À l’annonce du premier ver-

dict qui leur donnait deux ans et trois ans de prison, je n’ai pas supporté. Puis il y a eu l’appel et le second procès et là, elles ont écopé de 6 et 7 ans. Mais on m’a dit “tu sais Kelly, ne te fais pas d’illusions, elles sortiront de prison dans trois ans maximum.” C’est le cas. Elles ont 18 ans et la vie commence pour elles. Càd. : Pourriez-vous par- donner ? K. : Non, jamais je ne pardon- nerai. Elles ont gâché ma vie. Càd. : Depuis le drame, avez- vous eu des occasions de retrouver le sourire ? K. : Heureusement que j’ai des bons moments, sinon il y a long- temps que je me serais tiré une balle dans la tête. Càd. : Comment a réagi votre entourage à la suite de l’agression ? K. : Au début, les gens ont été très attentionnés à mon égard. Maintenant, ils considèrent que je suis censée avoir oublié. Alors quand ils me voient, ils disent de moi que je “psychote”, que je suis bizarre. Pour eux, trois ans, c’est long, ça suffit pour tour- ner la page. Mais pour moi, c’est comme si tout s’était passé hier. Il me reste des images de ce jour- là comme lorsque j’ai été enfer- mée dans la cave, que je ne peux pas oublier. Càd. : À l’époque, tous les médias régionaux et natio- naux se sont attardés sur ce monstrueux fait divers de Saint-Vit. Comment avez- vous ressenti ce tapage autour de votre histoire ? K. : Franchement, ça m’a ache- vé. On m’a envoyé deux semaines à l’hôpital, deux semaines au centre de soin de Bregille. Ensui- te, je suis partie deux semaines à Paris chez des amis, tout cela pour me préserver des médias.

Je suis finalement rentrée à mon domicile un mois et demi après les faits. Là, j’ai vu ce à quoi s’était livrée la presse. Dans cer- tains journaux, on a écrit que mon père avait pris une arme pour me venger, que j’avais été brûlée gravement, que je n’avais plus de main. Tout était faux. Suite à tout cela, des journalistes sont allés jusqu’à interroger ma petite sœur dans sa cour d’éco- le. Elle a 11 ans aujourd’hui. Elle a été traumatisée. Ma demi-sœur qui a cinq ans maintenant n’a pas non plus été épargnée. C’est aussi tout mon entourage qui a souffert. Càd. : C’est important pour vous de témoigner aujour- d’hui ? K. : Vous savez, les médias ont fait de la pub avec mon histoire au moment des faits. Mais après, qui se soucie de ce que devient la victime, comment elle vit, ce qu’elle ressent ? En fait, tout le monde s’en fout ! Si, à un

moment donné on m’a proposé de participer à deux émissions de télévision, mais je n’avais pas envie de me montrer et puis je n’étais pas prête. Vous êtes la première personne à me deman- der comment je vais. C’est pro- bablement l’unique entretien que j’accorderai. Càd. : Là où vous allez, avez- vous des projets ? K. : Mon objectif est de vivre comme tout le monde. D’avoir un mari en qui je peux avoir confiance, des enfants et un beau métier. Si je reste ici, je sais que je finirai mal. Et puis la chan- ce finit par tourner. J’espère qu’un jour, elle va tourner pour moi. Càd. : Vous reviendrez dans la région ? K. : Oui, je reviendrai. Mais pour l’instant, j’ai besoin de faire le vide. ■ Propos recueillis par T.C.

“Je veux leur montrer que je continuerai à avancer.”

Kelly se méfie des gens.

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