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MA TRIBU / LebilletdeJulienBlanc-Gras

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Julien Blanc-Gras est journaliste et écrivain. Son nouveau roman, “Comme à la guerre” (éd. Stock), est une chronique de la paternité.

le papa...

... tentede réconcilier l’enfant avec les légumes

M anger équilibré. Manger varié. Manger cinq fruits et légumes par jour. Voilà ce qu’il faut faire pour être en bonne santé. Tout le monde sait ça. Tout le monde sait ça, sauf une cer- taine catégorie de la population, qui refuse de se plier à l’évidence : je veux bien sûr parler des en- fants. Selon une étude réalisée par mes soins sur un échantillon d’un individu, environ 100% des enfants sont légumophobes. D’après mon expérience, si l’on tente d’approcher un petit pois de la bouche d’un moins de 5 ans, il fermera ladite bouche, croisera les bras et vous regardera d’un air écœuré en prononçant cemot : - Non. Le père, cet étendard de la sa- gesse, tente alors d’amorcer un débat à la fois constructif et bien- veillant : - Tu devrais goûter pour savoir si tu aimes ou pas. - Non, c’est beurk. - Tu sais, il faut manger de tout pour bien grandir. - Non. Je veux du saucisson. Mon fils, ce cauchemar pour les végans, m’a calmement expliqué sa position : - Papa, moi je suis un carnivore, comme les lions.

Puis j’avoue, j’ai lâché l’af- faire. On veut lemeilleur pour ses enfants, mais le meilleur pour les enfants (et les parents), certains soirs, c’est des coquillettes 3 mi- nutes et une tranche du jambon. Un plat qui met l’enfant en joie, même s’il a déjà mangé la même chose à midi. Et la joie, c’est bon pour la santé. Mais un jour, l’enfant revient de l’école et lance, l’air de rien: Le père, suspicieux, regarde son fils de travers. Il ne se foutrait pas un peu de moi, lui ? On tente le coup, quelque temps plus tard : on lui sert un gratin de chou-fleur. - C’est beurk. Nous voilà rassurés : oui, il se foutait bien de nous. Puis, un autre jour, au buffet d’un restaurant, l’enfant goûte, de son propre chef, une bette- rave. Et il en redemande. Un lé- gume que le papa, qui a accepté sa défaite depuis longtemps, ne son- geaitmême pas à lui faire ingurgi- ter. Parce que, soyons honnêtes, c’est beurk les betteraves. - Y avait du chou-fleur à la cantine. C’était bon.

J’ai tenté d’argumenter. Les hu- mains sont omnivores. On peut manger des végétaux, aussi. - Non, je suis carnivore. Je veux chasser les cerfs. On ne doute de rien à cet âge-là. - Eh bien, il faut être grand et costaud pour chasser le cerf. Déguste donc cette délicieuse salade de concombres si tu veux y parvenir. Inutile de vous dire qu’il n’est pas tombé dans le panneau. J’ai tenté toutes les ruses. J’ai dis- crètement mixé des haricots dans la purée, qui m’a immédiatement été renvoyée à la gueule (faut pas prendre les enfants pour des abrutis). J’ai joué la comédie en mode actors studio : - Oh mais…mais… je n’arrive pas à y croire… (une larme d’émotion coule sur ma joue) il est succulent ce brocoli. Je n’ai récolté qu’une indifférence même pas polie. Je me suis déguisé en lapin (en fixant des chaussettes sur mes oreilles) et j’ai croqué dans une carotte pour inciter l’enfant à faire de même. Ça l’a fait rire, ça ne l’a pas fait manger.

PARENTS Mars 2019 111

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