Parents CR825

BILLET D’HUMEUR

Comment le papa tente de... de l’enfant ranger la chambre

Julien Blanc-Gras papa et auteur de “Comme à la guerre” (éd. Stock) nous livre chaque mois son regard acéré

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » La citation de Mark Twain peut s’appliquer à cet exploit dont je ne suis pas peu fier : j’ai rangé la chambre de mon fils. Enfin, j’ai essayé.

O

n connaît la vanne de Florence Foresti: être parent, c’est se réveiller la nuit etmarcher pieds nus sur unLego. On pourrait ajouter: être parent, c’est

« Es-tu sûr que tu as besoin de tout ça, fils ? Ne sommes-nous pas prisonniers de nos biens matériels ? » Çamarchemoyen. On n’a jamais vu d’enfant spontanément décroissant. On tente alors l’approche sociale. « On pourrait aussi donner les vieux jouets. » Le visage du fils se décompose dans un rictus de fureur et d’incompréhension. On n’a jamais vu d’enfant prônant spontanément la redistribution des richesses. Puisque nous sommes dans un système capitaliste, on tente le coup de la brocante: « Choisis des jouets dont tu ne te sers plus, tu les vendras au vide-greniers et ça te fera des sous pour acheter des cartes Pokémon. » Ça, çamarche. Mais il y a toutes les merdes invendables, non donnables, que l’enfant refuse catégoriquement de jeter. Et qu’on jette dans son dos, pour de simples questions de survie (qui peut cohabiter avec les dizaines de poteries toutes pourries rapportées de l’école?). Si tu lis ces lignes plus tard, fils, j’avoue, j’ai mis à la poubelle ta petite moto rouge “made in China” sans ton agrément. C’était pour ton bien. Etmaintenant, ta chambre est rangée. On peut s’y déplacer et tu peuxmieux profiter de tes jouets, vu que tu peux les retrouver. Le père contemple l’ouvrage accompli et l’espace libéré : voilà un environnement sain pour un bambin. L’Enfant approuve et promet qu’il fera un effort pour ranger derrière lui. Et dixminutes plus tard, onmarche sur unLego. l

se vautrer en se prenant les jambes dans un cheval gonflable, glisser dans une flaque de peinture, rouler sur des billes, trébucher sur Batman. Le père, souvent, est saisi d’effroi à la vue de la chambre de sa progéniture: on ne peut tout simplement pasmarcher dans cette pièce à cause du bazar (pour être poli). L’enfant se plaît à accumuler, c’est sa nature d’enfant. Quand il va au parc, il bourre ses poches demarrons, pommes de pin et autres feuillages qui finiront parmoisir sous la commode. Surtout, la chambre est l’antre des jouets. C’est important, les jouets, ils sont partie intégrante du processus éducatif. Mais nos enfants en ont trop, beaucoup trop, à cause de la société de consommation et de la publicité qui mènent lemonde à sa perte. Noël, les anniversaires, les grands-parents qui gâtent, les tontons-tatas et les copains adorables qui offrent des trucs dont il va se servir une fois et qui bouffent desmètres carrés habitables et quand tu vois le prix dumètre carré, au secours. Au bout d’unmoment, il faut faire du vide. Problème: l’enfant chérit toutes ses possessions comme des trésors. On tente l’argument classique. « Tu sais, moi, à ton âge, je jouais avec un bout de carton et une ficelle. » Mensonge transmis de génération en génération pour faire culpabiliser lesmômes. Lemien n’est pas dupe. On tente alors l’approche philosophique.

CORENTIN FOHLEN

14 PARENTS Novembre 2019

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