Journal C'est à Dire 122 - Mai 2007

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S P É C I A L H A B I T A T

Immobilier Pierre Manchon : “La maison devient un bien de consommation comme un autre” Le directeur du pôle immobilier au Crédit Agricole de Franche-Comté analyse l’évo- lution rapide du marché de l’immobilier avec son nouveau corollaire : l’allongement des durées d’emprunts. Et paradoxalement, la maison n’est plus l’achat d’une vie.

C’ est à dire : Confir- mez-vous l’allonge- ment de la durée des emprunts ? Pierre Manchon : Bien sûr. L’allongement de la durée est une conséquence de plusieurs facteurs. En premier lieu, une augmentation assez forte des prix de l’immobilier. Dans le neuf comme dans l’ancien, dans le logement collectif comme dans le logement individuel, on a connu une hausse sans précé- dent durant ces cinq dernières années. Depuis peu, la vitesse de ces augmentations est en train de se ralentir assez fortement. Si ça augmente moins vitre, ça ne signifie pas pour autant que

ça baisse.

port aux autres grands pays euro- péens. La hausse de l’immobi- lier s’explique aussi par la haus- se du prix du foncier du fait de sa rareté. Sur ce point, on a une vraie caractéristique du Haut- Doubs. Autre élément, sur le neuf, on a subi la forte hausse du prix de matières premières (métaux, carburants…). Enfin, caractéristique propre à la Fran- ce : les 35 heures qui ont entraî- né une hausse des coûts de pro- duction de 11 %. Tous ces phé- nomènes conjugués aboutissent à un marché de l’immobilier dopé en termes de prix. En plus, du fait de taux d’intérêt encore bas et de poches de défiscalisation, le marché est donc très dyna- mique depuis quelques années. La demande est forte, l’offre ne suit pas forcément, tout cela fait monter les prix. Càd : Comment se traduisent ces hausses de prix sur la durée des emprunts ? P.M. : Sur le Haut-Doubs, actuel- lement pour du neuf, on se situe selon les endroits à des prix entre 2 400 et 2 800 le m 2 . Le prix du terrain a aussi beaucoup aug- menté. Les prix vont s’étager entre 70 et 120 euros le m 2 de terrain loti. Prenons l’exemple d’une maison de 120 m 2 dans le Haut-Doubs avec 5 ares de terrain à 80 euros le m 2 . Le ter- rain coûtera déjà 40 000 euros. La maison de 120 m 2 , à 2 000 euros le m 2 , coûtera

Càd : Ces hausses des prix de l’immobilier sont de quel ordre depuis cinq ans ? P.M. : Tous les ans, nous avons constaté un rythme de hausse à deux chiffres. En 2005 par exemple, il était de + 20 % en France. En 2006, la hausse était d’environ 7 %. Sur de l’ancien, on a pu constater parfois des hausses de prix de + 60 à 70 % dans certains secteurs. Càd : Qu’est-ce qui explique cet emballement depuis cinq ans ? P.M. : Plusieurs phénomènes. D’abord un rattrapage par rap-

240 000 euros. En ajoutant le terrain, le prix final atteindra 280 000 euros. Pour une maison et un terrain relativement petits. Mettons que les acheteurs puis- sent mettre un apport de 80 000 euros. Il reste 200 000 euros à financer. Si on emprunte sur 15 ans, on atteint 1 500 euros de remboursement mensuel. Pour ne pas tomber dans le surendettement, il faut donc que le couple ait un reve- numensuel global de 4 500 euros. Le même emprunt sur 30 ans aboutit à un remboursement mensuel de 1 074 euros. On revient dans cette hypothèse à des niveaux de revenus plus rai- sonnables. Càd : Les gens n’augmentent- ils pas la durée de leur emprunt parce qu’ils ont le sentiment que leur pouvoir d’achat baisse ? P.M. : Le pouvoir d’achat n’est pas en baisse en France mais encore une fois, il y a un ralen- tissement de la hausse du pou- voir d’achat. En 2000, le pouvoir d’achat des Français a augmenté de 2,5 %. En 2005, de 0,5 % seu- lement. Le passage à l’euro en 2002 a eu un effet de perte de repères. La répartition du bud- get est devenue différente à cau- se de cette perte de repères. De plus, les gens ne se tournent plus vers les mêmes produits. Qui aujourd’hui n’a pas son portable, sa connexion Internet, etc. ? Tout cela n’apparaissait pas dans le budget il y a 10 ans ou ne serait- ce que 5 ans. D’où ce sentiment général d’une baisse du pouvoir d’achat. Càd : Les gens ne sont-ils pas devenus plus exigeants aus- si dans la qualité de leur loge- ment ? P.M. : Exactement. Nombre de personnes regardent désormais si le pavillon est équipé d’un por- tail électrique, d’une aspiration centralisée. Tout cela, naturel- lement, contribue à augmen- ter le prix final du bien. Càd : La perception même de l’acte d’achat semble avoir également évolué depuis quelques années ? P.M. : Psychologiquement en effet, les choses ont changé aus- si. La maison devient un bien de consommation comme un autre. Ce bien-là, on ne le considère plus comme avant quand c’était l’achat de toute une vie. Aujour- d’hui, la durée de vie moyenne d’un bien immobilier est de 7 ans. Ce qui signifie qu’une per- sonne de 35 ans qui achète sa maison ou son appartement est censée changer 5 ou 6 fois dans sa vie. Cela est aussi lié à une mobilité professionnelle qui

n’existait pas avant et au vieillis- sement global de la population. Càd : On ne voit plus sa mai- son ou son appartement com- me un élément patrimonial ? P.M. : Beaucoup moins qu’avant. C’est devenu un bien de consom- mation courant pour lequel on pense plus à sa valeur d’usage qu’à sa valeur patrimoniale. Vis-

de remboursement. Ce qui per- met des emprunts sur 30 ans. Et c’est envisageable d’aller plus loin. Càd : Jusqu’où ? P.M. : On pourra aller vers des emprunts sur 50 ans mais cela nécessitera de réviser le systè- me hypothécaire. Il faudra avoir des techniques différentes de

Pierre Manchon dirige le pôle immobilier du Crédit Agricole de Franche-Comté.

à-vis d’un bien immobi- lier, on accepte plus d’avoir une charge consommée qu’une char- ge épargnée. Les mœurs changent également. Les divorces, les Pacs, se sont

garanties. On peut envi- sager des possibilités de porter le foncier à la fin du financement. C’est-à-dire qu’on va être locataire usufrui- tier du bien et au cours

“Il y a une rotation plus rapide des affaires.”

généralisés. Ce qui conditionne souvent le logement jusqu’ici, c’est un sentiment d’apparte- nance. Tout cela est en train de changer, les gens veulent profi- ter du temps présent. Et com- bien de jeunes achètent désor- mais un bien à l’âge de 25 ans qu’ils revendent 5 ans plus tard. Il y a une rotation plus rapide des affaires. Et à chaque tran- saction, chacun y prend un petit bénéfice. Cela explique aussi la hausse des prix, et donc l’al- longement nécessaire de la durée des emprunts. Càd : Comment risque d’évo- luer le secteur de la propriété immobilière ? P.M. : On a atteint les limites de l’endettement. Actuellement, on se situe à des durées moyennes de financement qui sont proches de 25 ans. Il y a 5 ans seulement, les finance- ments étaient sur 15 ans en moyenne. Pour permettre cela, les banques se sont adaptées. Elles proposent des formules de financement souples qui per- mettent de moduler les charges

des 5 dernières années, on rem- bourse le terrain. Les banques s’adaptent et doivent anticiper ces nouveaux comportements de consommation. Si on veut que chaque Français devienne propriétaire, il faudra bien trou- ver de nouvelles formules de financement. Càd : Quel est votre sentiment sur les pratiques dénoncées par l’association U.F.C.-Que Choisir, selon lesquelles les banques auraient “profité” du système d’assurance des prêts ? P.M. : Les marges que nous avons faites en 2006 concernant les financements immobiliers ont été de zéro. Parce qu’on a considéré que c’est un moyen de participer au développement de l’économie régionale. Alors si les Franc-Comtois peuvent acheter leur logement et qu’en même temps, on ait gagné un peu d’ar- gent sur ce que les compagnies d’assurances nous ont reversé, j’estime que tout le monde y est gagnant. Propos recueillis par J.-F.H.

Les taux d’intérêt sur 25 ans se situent aux alentours de 4,5 %. Ils devraient atteindre les 5 % d’ici la fin de l’année.

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