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CAHIER CONNAISSANCE L ' É P O P É E D E S M A Ç O N S D E L A C R E U S E

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PhilippeRoy /DétoursenFrancex3

De haut en bas, dans le village Masgot : la façade de la seconde maison du tailleur de pierre et maçon François Michaud, un détail du mur de son potager, l’arrière de cette maison.

www.bridgemanart.com Coll.LesMaçonsde laCreuse

La construction de Versailles, par Adam Frans van der Meulen en 1680. Sur ce chantier, les maçons creusois furent nombreux à venir exercer leurs talents.

UNE ÉMIGRATIONMASSIVE SANS PRÉCÉDENT L’apogée de la migration temporaire des maçons creusois se situe au milieu du xix e siècle. Quelque 50000 Limousins, dont 35000 Creusois, partent chaque année vers les chantiers. «Deux hommes sur trois en âge de travailler quittent le pays de février à décembre, c’est un phénomène migratoire alors sans précédent» , explique Roland Nicoux, président de l’association Les maçons de la Creuse. 70% de la main- d’œuvre du bâtiment à Paris au xix e siècle était limousine. On doit aux maçons de la Creuse la construction du Paris du xvii e siècle, les fortifications, le Paris haussmannien, le Lyon de Vaïsse, les ponts et les canaux… Mais on trouve aussi des traces des maçons partout dans la France (un peu moins dans le sud), même sur les plus petits chantiers des zones rurales. Progressivement, dès le milieu du xix e siècle, les séjours des maçons se prolongent, et nombre d’entre eux, au début de la Première Guerre mondiale, s’installent dans les villes. C’est l’un des facteurs du dépeuplement de la Creuse. LE VOYAGE

MASGOT, L’INCROYABLE VILLAGE SCULPTÉ

Situé entre Aubusson et Guéret, cet insolite village de pierre, sur la commune de Fransèches, garde le souvenir de François Michaud, un marginal paysan-tailleur de pierre (1810-1890). Toute sa vie durant, cet autodidacte – qui n’a vraisemblablement jamais migré – s’obstina à sculpter le granit qui affleurait dans les landes et les bois autour du village et réalisa des personnages, des animaux, des formes en tout genre. Ici, une pomme de pin sculptée sur un pilier d’entrée d’une maison, là, un Napoléon I er accompagné d’une femme nue coiffée d’un chapeau, plus loin, une silhouette aux allures de chimère ou un buste de Jules Grévy… L’œuvre de François Michaud est à ranger dans l’art populaire, aux côtés des réalisations du Facteur Cheval, dans la Drôme, ou de l’abbé Fouéré, dans la roche de Saint-Malo.

En sabots, les hommes creusois, dès l’âge de 13 ans quelquefois, quittent leurs villages aux beaux jours et s’en jusqu’à Paris se faisait ainsi en une semaine, à raison de 50 kilomètres par jour, en empruntant le même chemin, en vont à pied vers les chantiers. Le trajet

Le livret d’un ouvrier avec les appréciations des patrons.

faisant les haltes dans les mêmes auberges ou granges. Certains prennent à Orléans une voiture publique. Pour voyager de ville en ville, les maçons doivent présenter un passeport visé par le maire de leur commune et justifier du livret ouvrier (aboli en 1890), obligatoire sous peine d’être considéré comme un vagabond et arrêté. Y figuraient les appréciations des patrons sur le maçon. Le chemin de fer mettra peu à peu fin à cette « longue marche».

www.detoursenfrance.fr / avril 2016 / numēro 190

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