Quelle ville?

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Entre ceux qui vivaient et œuvraient sur le terrain et ceux qui vivaient et travaillaient à Pondichéry, dans l’ashram ou sa proximité, un fossé commençait de se creuser, ce même fossé qui se creusera davantage avec les années entre ceux qui sont engagés dans les tâches physiques et ceux qui se croient en mesure de voir et de décider pour tout le monde comment l’on vivra, dans quel cadre et selon quelles lois. Qu’il s’agisse de construire un premier barrage dans une ravine, de terrasser les champs et de les border de talus, de protéger les jeunes arbres des chèvres en maraude, d’ériger une première pompe éolienne ou un premier élément de toiture, de réparer la camionnette ou de traire les vaches, de remblayer une route ou d’acheminer le ravitaillement, quoique l’on fasse sur le terrain mettait en rapport non seulement avec la terre- même et ses rythmes, sa rudesse et sa grâce, mais avec ses habitants, ses humains. Chacun nouait des relations avec les villageois, apprenait à les connaître et les respecter, tout comme ces villageois, d’abord déconcertés, curieux, réservés ou hostiles, à travers les échanges et le compagnonnage de travaux simples et quotidiens, découvraient petit à petit les intentions, les espoirs et les faiblesses de ces drôles de gens qui venaient de si loin. Les nouveaux habitants, si visibles et singuliers, étaient ainsi silencieusement observés, avec pudeur et dignité et une qualité de lucidité profonde qui va droit à ce qui est sans s’arrêter à ce qui prétend.

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