un autre choix

L’artiste dédié à son art sait concrètement que, pour jamais parvenir à l’accomplissement, non seulement le matériau, la forme et l’instrument doivent être assidument travaillés, mais il est nécessaire d’atteindre à l’oubli de soi et de s’abandonner à la grâce d’une inspiration et d’un courant de conscience qui transcende l’individu et ne lui appartient aucunement. De même le chercheur, quel que soit le domaine élu, pour appréhender une voie nouvelle de compréhension, les contours d’une loi ou d’une harmonie, le processus ou la constitution de quelque mouvement de matière, doit, au-delà du savoir acquis et transmis, franchir le cercle de la mort – des faits réels que la mort lui présente – et s’ouvrir à une autre perception.

Il nous faut percer la coque.

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Par la pression de l’axe intérieur cette perception de la Présence en chaque être et en toute chose et en tout, discrètement et incompréhensiblement se développe et s’affine et les instants se multiplient où cette vie terrestre nous apparait presque parfaite, ou nous la ressentons comme telle – sa richesse d’expérience, son infinie diversité, la beauté profonde de sa matière, la grâce qui fait exister tous ces êtres uniques, et toutes ces formes miraculeuses et la douce, la forte, l’intense harmonie de la nature, et la concrète densité de ces regards et de ces corps et la complexe magie de tout cet espace relationnel.

Mais comment vivre joie et plénitude tant qu’un seul être demeure enfermé dans sa prison de souffrance, d’ennui, d’envie, de rancœur ou de haine ?

Plus nous chérissons et apprécions ces joyaux innombrables qui partout luisent et rayonnent dans ce monde physique et plus une douleur grandit et une stupéfaction : comment en même temps toute cette horreur et cette misère et cette laideur et cette petitesse et cette sottise arrogante peuvent-elles coexister avec cette merveille, en nous, dans nos consciences, sur cette Terre ?

Est-ce dû à la peine de la séparation, d’avoir été projeté dans le vide et l’oubli, précipité dans la forme et son enfermement ?

Ou il y a-t-il une volonté de nuire et d’empêcher et de salir et d’abimer, une volonté positive et objective, issue elle aussi de l’origine, nécessaire contradiction elle aussi – gardant son secret trésor ?

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