sic! 06/2017

Biens virtuels et droit des marques

relation avec un bien virtuel est donc susceptible d’avoir un impact sur le maintien du droit sur une marque enre- gistrée pour des produits réels si l’utili- sateur établit un lien avec l’origine des produits 58 . À titre d’exemple, la société Reebok avait ouvert un espace sur Second Life qui permettait à ses visiteurs de personnaliser des chaussures vir- tuelles avec la possibilité d’en faire livrer une paire (réelle) à leur domicile, étant précisé que le signe distinctif de Reebok figurait sur ces chaussures virtuelles. Dans ce contexte, il faut considérer que cet usage de la marque «Reebok » (bien qu’enregistrée uniquement en lien avec des produits réels) satisfait à la condi- tion de l’usage sérieux, tout du moins à titre d’usage publicitaire 59 . d) Usage en Suisse Selon le principe de territorialité, l’usage doit être effectué en Suisse, ou au moins sur une partie du territoire suisse 60 . Dès lors que l’on se trouve dans 58 À titre comparatif, le BGH allemand a consi- déré que l’utilisation de la marque «Zappa » dans un nom de domaine – qui donnait l’im- pression au public concerné de contenir des informations sur l’artiste concerné – ne constituait pas un usage de la marque (BGH du 31 mai 2012, I ZR 135/10). 59 Il est intéressant de constater que cet état de fait correspondrait à celui de la vente par correspondance sur Internet. C’est par ail- leurs la logique qui est suivie dans le cadre de l’enregistrement des noms de domaine en tant que marques. Ils ne sont pas considérés en soi comme des produits mais peuvent tou- tefois être enregistrés lorsqu’ils distinguent des produits réels qui seraient vendus ou proposés sur le site Internet en question (cf. U. Buri, Die Verwechselbarkeit von Inter- net Domain Names, Berne 2000, 161 ss ; P. Gilliéron, Propriété intellectuelle et Inter- net, Lausanne 2003, 66). Le même raisonne- ment peut être tenu en ce qui concerne les biens virtuels qui servent comme intermé- diaires dans une transaction portant sur des produits réels. 60 ATF 107 II 356 ss; FF 1991 I 24; Cherpillod (n. 21), 192; David (n. 50), MSchG 11 N 18; Marbach (n. 23), 398 ; Meier (n. 47), 107; C. Willi, Markenschutzgesetz: Kommentar zum schweizerischen Markenrecht unter

un monde virtuel qui, par essence, n’est pas lié à un territoire donné, comment faut-il apprécier la notion de territoire suisse ? La Recommandation commune de l’OMPI du 3 octobre 2001 concernant la protection des marques, et autres droits de propriété industrielle relatifs a des signes, sur l’Internet (Recomman- dation de l’OMPI) fournit des facteurs 61 de rattachement territorial (art. 3). Ce dernier est fondé sur les « incidences commerciales » que l’usage de la marque pourrait avoir dans un État (art. 2). Ces facteurs, qui tentent de rattacher à un territoire l’usage d’un signe dans un uni- vers sans frontière tel qu’Internet, pour- raient être utiles également dans le contexte des biens virtuels 62 . Plusieurs d’entre eux sont pertinents dans ce cadre : Berucksichtigung des europaischen und in- ternationalen Markenrechts, Zurich 2002, MSchG 11 N 32. Il est également à noter qu’en vertu de la Convention du 13 avril 1892 entre la Suisse et l’Allemagne concernant la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques (RS 0.232.149.136), l’usage d’une marque en Allemagne a le même effet que l’usage en Suisse (art. 5 in limine ). 61 En vertu de l’art. 3 al. 2 Recommandation de l’OMPI, ces facteurs «ne sont pas des condi- tions prédéfinies permettant de parvenir a une conclusion. La conclusion dépendra des circonstances de l’espèce. Dans certains cas, tous ces facteurs pourront être pertinents, dans d’autres, certains d’entre eux pourront l’être. Dans d’autres encore, aucun des fac- teurs mentionnés ne sera pertinent et la déci- sion pourra être fondée sur d’autres facteurs […]. Ces autres facteurs pourront être perti- nents en soi ou en association avec un ou plusieurs des facteurs énumérés. » 62 Le Préambule précise que la Recommanda- tion de l’OMPI a pour vocation de s’appliquer « afin d’établir si, en vertu de la législation pertinente d’un État membre, l’utilisation d’un signe sur l’Internet a permis d’acquérir ou de maintenir en vigueur une marque […] attache[e] au signe ». Par ailleurs, l’OMPI a affirmé que l’utilisation d’un signe dans un monde virtuel pouvait également – au même titre que l’utilisation sur Internet – être rat- tachée au territoire d’un État et que, partant, ces facteurs étaient également pertinents dans ce contexte (OMPI SCT/25/3, N 52).

– Le niveau et la nature de l’activité commerciale, qui peuvent être mesurés notamment par une ac­ tivité commerciale qui serait ef­ fectivement assurée auprès des consommateurs d’un État (art. 3[1][b][i]). Ce sera le cas lorsque les biens virtuels ou les services utilisant la marque sont vendus à des personnes se trou- vant en Suisse. Ce facteur peut également être mesuré par le fait que d’autres activités commer- ciales qui sont liées à l’utilisation du signe sur Internet, mais qui n’ont pas lieu sur Internet, sont poursuivies dans cet État. Ce cri- tère sera utile au titulaire d’une marque qui est enregistrée pour des produits réels et des biens virtuels et qui utilise la même marque dans une activité « tradi- tionnelle » sur le marché suisse, en parallèle de l’activité dans le monde virtuel. – « [L]e rapport entre les modalités d’utilisation du signe sur l’Internet et cet État membre, notamment la question de savoir [ :] i) si l’utilisa- tion du signe est liée à des moyens de communication interactive qui sont accessibles aux internautes dans cet État ; […] iv) si le texte associé au signe est rédigé dans une langue d’usage courant dans cet État 63  ; v) si l’utilisation du signe est liée à un espace Internet qui a effectivement été consulté par des internautes se trouvant dans cet État » (art. 3(1)(d)). Ces critères pourront s’appliquer tels quels dans le cadre des biens vir- tuels, étant précisé que l’« espace Internet » devrait être interprété comme visant (i) le monde virtuel

63 À ce propos, la CREPI a jugé que l’utilisation d’une marque sur des sites Internet de langue allemande n’est pas en mesure de fonder à elle seule l’usage de la marque en Suisse, CREPI, sic ! 2006, 271.

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