sic! 06/2017

Sevan Antreasyan 

commercial (bien que l’offre soit effec- tuée à titre gratuit) ? Le droit américain envisage large- ment la condition de l’utilisation de la marque dans le commerce. Ainsi, l’offre et l’échange de biens virtuels, même à titre gratuit, peuvent être considérés comme « use in commerce » puisqu’il suf- fit que le marché en question soit affecté pour que cette condition soit réalisée 82 . Kotelnikov estime que ce système serait trop favorable aux titulaires de marques. Il est d’avis que le seuil d’ad- mission de l’usage dans le commerce devrait être fixé – subjectivement – à partir du moment où l’utilisateur du monde virtuel agit à titre professionnel ; selon cet auteur, ce critère pourrait être vérifié en contrôlant la fréquence des conversions de monnaie virtuelle en argent faites par l’utilisateur concerné 83 . Sur le plan théorique, cette proposition est intéressante. Cependant, il pourra s’avérer difficile, en pratique, d’obtenir ces informations. En droit suisse, un usage commer- cial (ou un usage dans le commerce) est admis lorsque la marque est utilisée en relation avec des produits ou des ser- vices dirigés vers des tiers externes (contrairement, par exemple, à un usage interne à une entreprise) sans exiger qu’une telle utilisation génère un chiffre d’affaire ou soit effectuée dans un but lucratif  84 . 82 Dans une telle hypothèse, le marché est affecté par l’offre de biens virtuels à titre gra- tuit dans la mesure où il sera plus difficile pour le titulaire de la marque de proposer des produits similaires à titre onéreux sur ce mar- ché ; voir Dougherty/Lastowka (n. 71), 779 s., et les références citées, qui men- tionnent comme exemple notamment la simple mise en service d’un site Internet in- corporant une marque et la mise à disposition gratuite sur Internet d’un logiciel faisant usage de la marque d’un tiers. 83 Kotelnikov (n. 41), 127 s. 84 P. Gilliéron, Commentaire Romand, Pro- priété intellectuelle, LPM 13 N 11 (voir éga- lement les références citées) ; M. Isler, Bas- ler Kommentar, MSchG 13 N 26; F. Thouve- nin/L. Dorigo, SHK, Markenschutzgesetz,

La doctrine suisse s’est penchée sur une question similaire à celle traitée dans cet article : l’utilisation d’une marque dans un nom de domaine. Ce type d’utilisation peut constituer un usage privé si un objectif commercial n’est pas recherché 85 . Buri estime qu’il y a usage dans les affaires lorsque les consommateurs sont susceptibles de penser que le titulaire d’un site Internet qui utilise une marque dans son nom de domaine constitue une partie de l’acti- vité de son titulaire 86 . La jurisprudence ne s’est pas prononcée sur ce point. Il serait intéressant de savoir si l’exploi­ tation privée d’un site Internet qui pro- curerait à son webmaster de petits reve- nus ( e.g. liés aux clics des utilisateurs sur des bannières publicitaires) serait considérée comme commerciale ou, au contraire, si la notion d’usage dans le commerce sous-entendrait un usage commercial relativement « sérieux ». Si l’on appliquait par analogie la seconde solution aux biens virtuels, l’usage com- mercial ne serait alors constaté que si l’activité lucrative ( i.e. le commerce de biens virtuels) peut être qualifiée de sérieuse. On pourrait alors envisager d’appliquer le critère de Kotelnikov 87 de cas en cas pour délimiter l’usage commercial de l’usage privé de façon objective. Cependant, la solution du droit américain – i.e. admettre l’usage dans le commerce dès que le marché est af- fecté de quelque manière que ce soit – doit à notre sens être préférée en ce que la fonction d’identification de la marque peut être touchée même si le produit litigieux est offert à titre gratuit. Par exemple, si une personne offre gratui- tement des stickers arborant la marque d’un tiers sur iMessage, les intérêts du MSchG 13 N 10 ; Willi (n. 60), MSchG 13 N 17. 85 Buri (n. 59), 101 ; C. Menn, Internet und Markenschutz, Berne 2003, 56; D. Rüetschi, sic ! 2005, 205. 86 Buri (n. 59), 101. 87 Kotelnikov (n. 41), 127 s.

titulaire de cette marque seraient lésés par le fait que l’utilisation de sa marque en lien avec des stickers payants serait prétéritée. En effet, le marché des stic­ kers en lien avec cette marque serait déjà occupé par une offre gratuite, la- quelle entraverait le droit exclusif du titulaire de la marque. b) Usage comme signe distinctif L’usage doit encore être effectué en tant que signe distinctif  88 , i.e. dans le but de distinguer des produits ou des services. Cette condition doit être envisagée lar- gement, l’usage comme signe distinctif n’impliquant pas qu’il soit directement lié au produit ou au service ; en té- moigne l’exemple de l’art. 13 al. 2 let. e LPM qui prohibe l’usage publicitaire d’une marque enregistrée. Partant, l’usage comme signe distinctif est pos- sible en lien avec des biens virtuels. Ne seront pas considérés comme usage en tant que signe distinctif les parodies de marque 89 ou les usages décoratifs 90 . Le principe qui veut qu’en règle générale l’apposition d’un signe sur un produit vaut usage de la marque 91 peut être appliqué par analogie dans le cadre des biens virtuels. Par exemple, lorsqu’un sticker ou un vêtement virtuel arborant une marque est offert (à titre onéreux), il y aura en principe 92 usage de cette marque comme signe distinctif. 88 Cherpillod (n. 21), 170 et les références citées. 89 Marbach (n. 23), 448 s.; sous réserve d’une atteinte à la réputation d’une marque de haute renommée (art. 15 LPM). 90 Cherpillod (n. 21), 170 ; Marbach (n. 23), 447 s. 91 Cherpillod (n. 21), 170 ; cf. également «Arsenal c. Reed», CJUE du 12 novembre 2002, dans la cause C-206/01; Kotelnikov (n. 41), 126 s. 92 Sous réserve des cas où l’utilisation de la marque est accessoire – et n’est ainsi pas assi- milée à un usage à titre de signe distinctif – ou à titre décoratif ou de parodie (Cherpillod [n. 21], 170).

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