sic! 06/2017

Sevan Antreasyan 

la présente question 105  : seuls les indices de la complémentarité et du cercle de consommateurs semblable sont suscep- tibles de s’appliquer dans le cadre du commerce de biens virtuels 106 . En droit étranger, Dougherty et Lastowka – bien qu’ils estiment que ces deux indices pourraient être vérifiés si la preuve d’une confusion effective était apportée 107 – se prononcent pour l’ab- sence de similarité en raison du carac- tère fondamentalement différent des biens virtuels et des biens réels et no- tamment des différences entre les mar- chés respectifs 108 . Varas, en s’appuyant sur la pratique restrictive des tribunaux anglais, adopte la même opinion et es- time que les biens virtuels et les biens matériels ne peuvent pas être jugés similaires 109 . Davis rejoint Varas en se fondant sur le fait que les biens virtuels ne sont pas substituables aux biens matériels et ne sont pas distribués dans les mêmes canaux 110 . Armitage estime en revanche que les Cours anglaises pourraient reconnaître la similarité 105 Il est à noter que la jurisprudence relative aux noms de domaine n’est pas plus pertinente car ceux-ci ne sont pas dépourvus d’un aspect matériel. En effet, le test de la similarité des produits sera effectué, pour un signe utilisé dans un nom de domaine, en examinant les produits ou les services associés au site In­ ternet pertinent (A. Alberini /K. Guillet, L’incidence du contenu du site Internet dans les litiges en matière de noms de domaine, sic ! 2012, 312 s.; Gilliéron [n. 59], 66). 106 Dougherty/Lastowka (n. 71), 786, notent à ce propos : « [f]or example, virtual world users who wear Nike apparel in real life would probably be more likely to purchase such appa­ rel for their avatars. Thus, while the products are very different, the consumers purchasing the products could be the same, which would increase the risk of association ». 107 Il faut noter à ce titre qu’une telle preuve n’aurait pas la même valeur devant les tribu- naux suisses étant donné que le risque de confusion est une notion de droit. Il en dé- coule que la preuve effective d’une confusion ne sera prise en compte qu’à titre d’indice (ATF 128 III 96 ss). 108 Dougherty/Lastowka (n. 71), 791. 109 Varas (n. 77), 9. 110 Davis (n. 1), 190 s.

entre un bien matériel et un bien virtuel en interprétant le droit de façon « prag- matique » 111 . D’autres auteurs ne pren­ nent pas clairement position sur ce point mais soulignent que l’issue juri- dique d’une telle question est incer- taine 112 . L’avis majoritairement négatif de la doctrine s’explique par le fait que les biens virtuels sont trop dissemblables aux produits réels pour qu’une simi­ larité soit admise. Cependant, le critère du cercle de consommateur semblable permettra dans certains cas d’établir une similarité entre des biens virtuels et des produits matériels 113 . Par exemple, le cercle de consommateurs est semblable dans l’hypothèse d’une marque utilisée en relation avec des produits réels qui sont destinés à un groupe de personnes susceptibles d’être actives dans un monde virtuel ( e.g. une marque liée aux nouvelles technologies et visant un public jeune) 114 . Dans le prolongement de ce raisonnement, les biens virtuels utilisant une marque de type cité dans l’exemple précédant pourront être reconnus comme com­ plémentaires à leurs pendants réels lorsqu’il existe un lien entre ceux-ci pour le cercle des consommateurs visés. En revanche, lorsque les biens en ques- tion sont destinés au grand public (e.g. les stickers), l’indice du cercle de consommateurs semblables ne pourra 111 M. A. Armitage, Virtual Trademark Infringe- ment in a Virtual World? A U.K. Perspective, Landslide, 2009, 38 s. 112 S. Holzer, Real Trademark Issues in Virtual Worlds, The Licensing Journal, mai-juin 2009, 4 ; Kotelnikov (n. 41), 125. 113 Sur le critère du cercle de consommateurs, cf. Schlosser/Maradan (n. 94), LPM 3 N 148. 114 En revanche, si l’on reprend l’exemple des chaussures Nike (supra, n. 106), le cercle des consommateurs des produits réels de cette marque est bien plus large que celui composé des utilisateurs d’un univers virtuel (de ma- nière générale, mais en ce sens : Schlosser/ Maradan [n. 94], LPM 3 N 149). Une simi- larité ne sera ainsi pas retenue.

pas fonder une similarité des pro- duits 115 . Par ailleurs, le critère de la diver- sification usuelle dans un secteur de l’économie, s’il était appliqué, permet- trait de reconnaître une similarité entre des produits virtuels et des produits réels, cela d’autant plus si la marque jouit d’une certaine réputation 116 . Force est de constater qu’à ce jour, une telle diversification n’est usuelle dans aucun secteur de l’économie 117 . Cependant, il n’est pas exclu qu’à l’avenir la création et l’offre de biens virtuels devienne – dans certains domaines ( e.g. les pro- duits de luxe ou de mode 118 ) – une diver- sification usuelle. La jurisprudence plus récente du Tribunal fédéral indique clairement que la diversification usuelle dans un sec- teur ne doit pas être prise en compte lors de l’examen de la similarité des pro- duits 119 . Cela aurait pour conséquence, selon le Tribunal fédéral, d’éluder la condition – considérée comme abso- lue – de la similarité des produits ou services 120 . Cette jurisprudence tranche avec une jurisprudence antérieure qui interprétait la notion de similarité des produits de façon extensive 121 . Ainsi, l’arrêt se rapproche de la pratique com- munautaire qui a recours à des critères plus «directs » pour apprécier la simili- 115 Schlosser/Maradan (n. 94), LPM3 N 149. 116 Cherpillod (n. 21), 122 s. 117 Cf. notamment Kotelnikov (n. 41), 127. 118 Cf. notamment les exemples suivants pour lesquels la similarité des produits a été recon- nue : des montres et des vêtements (CREPI, sic ! 1997, 163) et des produits cosmétiques et des vêtements (Tribunal de Bâle-Cam- pagne, sic ! 1997, 167). Il est à noter que ces arrêts font également appel au critère des canaux de distribution, qui étaient sem- blables dans les cas d’espèce. 119 TF, sic ! 2010, 353 ; de cet avis également Schlosser/Maradan (n. 94), LPM3 N 134. 120 TF, sic ! 2010, 353 ; cf. également E. Mar- bach, Gleichartigkeit – ein markenrecht­ licher Schlusselbegriff ohne Konturen?, RDS 2001 I 255, N 841. 121 Voir notamment l’ATF 123 III 189 ss.

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