sic! 06/2017

Sevan Antreasyan 

prit que l’analyse du risque de confusion est effectuée selon les circonstances de chaque cas d’espèce. Cependant, un obstacle majeur à la reconnaissance d’un risque de confu- sion par les tribunaux découle de ce que la similarité entre des produits « réels » et des biens virtuels ne sera vraisembla- blement pas admise, leur nature étant trop différente 139 . Partant, le risque de confusion n’est que difficilement envi- sageable dans la situation où la marque antérieure est enregistrée en relation avec l’offre de produits. Si toutefois la marque antérieure est de haute renom- mée, le titulaire pourra se prévaloir de l’art. 15 LPM 140 . Si la marque antérieure est enre- gistrée en relation avec des services, la nature virtuelle du signe utilisé en rela- tion avec des services dans un monde virtuel ne devrait pas constituer un obs- tacle particulier. Dans une telle situa- tion, le risque de confusion pourra être admis. Par ailleurs, l’analyse de ce risque se fera comme dans un litige opposant des signes utilisés pour des services offerts dans le monde réel. Une réserve doit toutefois être faite pour les services qui impliquent l’utilisation de produits réels ( e.g. la restauration) les- quels ne devraient engendrer aucun risque de confusion. 5. Cas particulier de la violation d’une marque de haute renom- mée Une marque de haute renommée jouit d’une protection plus étendue que les autres marques en vertu de l’art. 15 LPM. Selon la jurisprudence, la haute renommée implique que la marque jouisse d’une réputation positive 141 au

sein d’un large public ( i.e. dépassant le cercle des consommateurs spécialement visé par un produit ou service) 142 en Suisse 143 . La doctrine n’est pas unanime sur la façon d’établir le seuil à partir duquel une marque atteindrait la haute renommée 144 . On pourra mentionner, à titre d’exemple, que la haute renommée des marques suivantes a été reconnue par le Tribunal fédéral : «Nike » 145 , «Gucci » 146 et, plus récemment, «Bu- gatti » 147 et «Vogue » 148 . À teneur de l’art. 15 LPM, le titu- laire d’une marque de haute renommée peut interdire à des tiers l’usage com- mercial de celle-ci pour tous les produits ou les services pour autant qu’un tel usage menace le caractère distinctif de la marque, exploite sa réputation ou lui porte atteinte (al. 1) et que cet usage ait eu lieu après que la marque ait acquis une haute renommée (al. 2). La condi- tion de l’identité ou de la similarité entre les produits ou les services n’est donc pas requise pour établir la viola- tion d’une telle marque, le principe de spécialité ne s’appliquant pas ici. L’usage d’un signe en lien avec un bien virtuel pourra donc constituer une violation de l’art. 15 LPM sans que ne soit exigée une similarité entre les biens virtuels et les produits ou services pour lesquels la marque de haute renommée est enregistrée. À titre d’exemple, le titulaire de la marque «Nike », par exemple, pourrait empêcher le com- merce de biens virtuels sur lesquelles figurent la « virgule » caractéristique de cette marque pour autant que cette uti- lisation menace le caractère distinctif 142 ATF 124 III 277 ss ; Gilliéron (n. 84), LPM 15 N 9. 143 ATF 130 III 748 ss. 144 Dans un arrêt relativement récent, le Tribunal fédéral a jugé qu’un taux de 25% de connais- sance de la marque suffit pour atteindre la haute renommée (TF, sic ! 2013, 41).

de la marque, exploite sa réputation ou lui porte atteinte. En gardant à l’esprit l’exemple pré- cédent, si le bien virtuel arborant le signe «Nike » s’avère de mauvaise qua- lité 149 , l’on pourra considérer qu’il porte atteinte à la réputation de la marque 150 . Si elles s’avèrent au contraire de bonne qualité et ne portent pas atteinte à la marque de quelconque autre façon, le titulaire de la marque de haute renommée pourrait alternativement se prévaloir de l’art. 15 LPM en raison de l’exploitation de la réputation de sa marque. En effet, il est probable qu’un bien virtuel arborant le signe «Nike » rencontrera plus de succès qu’un bien virtuel lambda auprès des potentiels consommateurs, du fait de la notoriété de ce signe 151 . En outre, le fait qu’un tiers non autorisé utilise de façon indue cette marque est susceptible de constituer une menace pour le caractère distinctif 149 La qualité d’un bien virtuel doit s’apprécier en rapport avec son aspect graphique compte tenu de l’environnement et de l’aspect dans lequel il est présenté. Ainsi, par exemple, si les graphismes d’un monde virtuel ne sont pas d’une bonne qualité, il faut en tenir compte et abaisser le seuil à partir duquel la qualité devient acceptable. 150 Dougherty/Lastowka (n. 71), 797; Ung (n. 77), 704 ; M. Vern, Second Life – A New Dimension For Trademark Infringement, Journal of the Patent and Trademark Office Society, 2008, 54. Le fait que le signe soit utilisé en relation avec des biens virtuels peut en soi constituer une atteinte à la marque si cette utilisation va à l’encontre de son image (cf. notamment Marbach [n. 23], 495 s., et Willi [n. 60], MSchG 15 N 26). Ce ne serait peut-être pas le cas dans cet exemple mais cela pourrait se produire par exemple pour une marque de haute renommée de luxe comme Gucci (ATF 116 II 614) dont l’image pourrait être ternie par le simple fait de l’« apposition» de sa marque sur des biens virtuels (Ung [n. 77], 704). 151 Dougherty/Lastowka (n. 71), 797, conçoivent ceci en tant que « dilution by free-riding », principe de common law déve- loppé par le juge Posner («Ty Inc. v. Ruth Perryman», 306 F.3d at 512 [U.S. CoA 7th cir. 2002]) mais qui n’a pas encore été appli- qué en pratique.

139 Supra,IV.3.a;cf.égalementDougherty/Las- towka (n. 71), 791; Varas (n. 77), 10 ; Ung (n. 77), 701. 140 Infra, IV.5. 141 ATF 130 III 748 ss.

145 ATF 124 III 277 ss. 146 ATF 116 II 614 ss. 147 TF, sic ! 2007, 635. 148 TF, sic ! 2013, 41.

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