sic! 06/2017

Sevan Antreasyan 

tent une catégorie particulière de biens numériques 2 . Ils ont cela de particulier qu’ils sont généralement destinés à être utilisés dans un monde virtuel, un jeu ou un réseau social. Les biens virtuels sont apparus en premier lieu dans les mondes virtuels 3 et permettent par exemple de person- naliser l’apparence d’un avatar ou d’ob- tenir des représentations virtuelles d’objets réels (tels que des accessoires de mode, des meubles, etc.). Il est à noter que, malgré le déclin de popula- rité des mondes virtuels comme Second Life 4 , ceux-ci pourraient bien bénéficier d’un second souffle grâce à l’avènement de la réalité virtuelle. À ce propos, les créateurs de Second Life ont annoncé qu’un nouveau monde virtuel – compa- tible avec certains accessoires de réalité virtuelle (tel que les casques Oculus ) – serait lancé au premier trimestre 2017 et, par ailleurs, les sociétés Facebook et Google sont toutes deux intéressées au phénomène de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée 5 . University Law Review 2005, 1063 ; M. Nänni, Märkte virtueller Welten: Rechts- natur und Übertragung virtueller Güter, Zu- rich 2009, 34.  2 Les biens numériques sont généralement définis comme tout type de fichier informa- tique ( e.g. e-mail, fichier musical, vidéo, photo, livre électronique, etc.); cf. en parti- culier Y. Benhamou/L. Tran, Circulation des biens numériques : de la commercialisation à la portabilité, sic! 2016, 572, et A. Peyrot/ S. Antreasyan, Succession 2.0 : les biens numériques, not@lex 2016, 21 s.  3 I.e. des univers persistants, soutenus par un système informatique mettant en relation un nombre important d’utilisateurs qui sont immergés par le biais de leur avatar et qui interagissent dans cet univers ; pour une définition plus détaillée, cf. S. Antreasyan, Réseaux sociaux et mondes virtuels – Contrat d’utilisation et aspects de propriété intellec- tuelle, Genève 2016, 7 ss.  4 À titre indicatif, Second Life compte à présent entre 27000 et 51000 utilisateurs uniques chaque jour .  5 Cf. notamment: et

La possibilité offerte aux utilisa- teurs de certains mondes virtuels de créer des biens virtuels (sur lesquels peuvent figurer des signes violant po- tentiellement le droit des marques) et de les échanger avec d’autres utilisa- teurs à titre onéreux ou gratuit pose nécessairement des questions juridiques au regard du droit de la propriété intel- lectuelle et, pour ce qui concerne cet article, en droit des marques. Par ailleurs, les biens virtuels constituent un moyen de monétisation (i) des services de messagerie instanta- née proposés par les réseaux sociaux ou d’autres opérateurs ainsi que (ii) des jeux vidéo. À titre d’exemple, Apple a récemment ouvert un App Store spéci- fique pour son logiciel de messagerie iMessage, sur lequel on trouve principa- lement des stickers ( i.e. des images ou animations qui peuvent être envoyées aux contacts de l’utilisateur via ladite application de messagerie) dont la ma- jorité est payante 6 . En ce qui concerne les jeux vidéo, il est de plus en plus fré- quent de pouvoir y télécharger du contenu additionnel ( e.g. personnaliser l’expérience par des biens virtuels ou en déverrouillant des niveaux supplémen- taires) contre paiement. Dans certains cas, les biens virtuels sont uniquement proposés directement par l’opérateur. Dans d’autres cas (comme l’exemple d’ iMessage ), l’opéra- teur permet à des tiers de proposer des biens virtuels destinés à être utilisés sur sa plateforme. Dans ce dernier cas, les biens virtuels peuvent être utilisés comme outil marketing par des marques, mais des développeurs peu scrupuleux peuvent également tenter de profiter du succès d’une marque en proposant des biens virtuels arborant com/2016/12/googles-improbable-deal-re create-real-world-vr/>.  6 Cf. notamment : .

un signe similaire à une marque enre- gistrée. Cet article a pour but d’étudier les questions qui se posent en droit des marques en lien avec les biens virtuels, que nous proposons de diviser en trois groupes. En premier lieu, quelle est la nature d’un bien virtuel, i.e. peut-il être considéré comme un « produit » au sens de la LPM? En second lieu, se pose la question de savoir comment protéger un signe utilisé en lien avec des biens virtuels (auquel nous nous référerons en tant que « signe virtuel » dans cet article). Enfin, la question se pose de savoir comment juger la similarité des produits et/ou des services dans le cadre de la protection des marques – qui bénéficient d’une protection légale en vertu d’un enregistrement dans un re- gistre de marques national, régional ou international, ou en vertu d’une loi ou une convention ( e.g. la marque no- toire) – enregistrées pour des produits ou services traditionnels (auxquelles nous nous référerons en tant que «marques traditionnelles » dans cet ar- ticle). Ainsi, cet article traitera dans un premier temps de la qualification des biens virtuels au regard du droit des marques (infra, II). Cette qualification est importante en ce qu’elle influe sur la possibilité (et les modalités) de pro- tection d’un signe virtuel (infra, III) et sur l’analyse de la violation d’une marque traditionnelle (infra, IV).

II. Qualification des biens

virtuels au regard du droit des marques

La fonction de la marque est de distin- guer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (art. 1 al. 1 LPM). À l’exception des marques notoires (art. 3 al. 2 let. b LPM), un signe doit être enregistré en relation avec des produits ou des ser- vices pour entrer dans le champ d’appli-

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