sic! 06/2017

Biens virtuels et droit des marques

cation de cette loi. Il s’agit d’une condi- tion essentielle de dépôt, du maintien du droit et de l’action en violation d’une marque. Ainsi, une marque est un bien im- matériel qui peut être utilisé en relation avec des biens corporels (matériels) – lorsqu’elle sert à distinguer des pro- duits – et/ou avec des services. Les biens virtuels, quant à eux, ne peuvent être aisément classés sous le libellé de produit ou sous celui de ser- vice. En effet, il existe différents types de biens virtuels qui sont susceptibles d’entrer dans diverses catégories. De plus, ils possèdent potentiellement cer- tains aspects des produits ( e.g. une fonc- tion ou une apparence analogue), mais également le caractère immatériel des services. Aussi, la question fondamentale – car nécessaire formellement dans la demande d’enregistrement d’une marque (art. 28 al. 2 let. c LPM) 7 et qui pourrait influencer l’analyse de la simi- larité des produits et/ou services dans le cadre d’un conflit entre un signe vir- tuel et une marque traditionnelle 8 – qui se pose ici est de savoir si les biens vir- tuels peuvent être considéré comme des produits au sens de la LPM. La notion de produit, au sens de la LPM, sera d’abord présentée en général et confrontée aux biens virtuels (in- fra, 1). Partant des constats qui auront été effectués, une définition souhaitable de cette notion sera présentée (infra, 2). 1. En général La définition du produit doit en premier lieu être recherchée dans la loi (in- fra, a). Cependant, l’analyse empirique (infra, b) – soit l’étude de la Classifica- tion de Nice 9 et des listes de produits

tenues par certains offices nationaux et régionaux – est également utile pour apprécier la portée pratique de cette notion. a) Définition légale Le produit, au sens de la LPM, n’est pas défini dans la loi, dans la jurisprudence ou la doctrine. Par ailleurs, le Conseil fédéral n’a pas pris la peine de le faire, ni dans le message relatif à la LPM 10 ni dans les messages relatifs à l’aLMF 11 . Cette lacune est probablement due au fait que cette notion paraît évidente. En effet, on ne pouvait pas imaginer – spé- cialement à l’époque de l’entrée en vi- gueur de l’aLMF (intervenue en 1880) – qu’un produit puisse être autre chose qu’un bien matériel. L’analyse littérale renforce ce point de vue car le texte allemand de l’art. 1 LPM emploie le terme «Waren » comme équivalent au terme « produits » figu- rant dans la version française. «Waren » peut également être traduit par «mar- chandises ». À teneur de cette analyse littérale, un produit au sens de la LPM doit nécessairement être un bien corpo- rel, ce qui a pour conséquence qu’un bien virtuel ne pourrait, en principe, pas être considéré comme tel 12 . marques révisé à Genève le 13 mai 1977 (RS 0.232.112.9). 10 FF 1991 I 1. 11 FF 31 III 697 ; 38 III 519 ; 42 I 589. 12 À teneur de l’art. 7 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle révisée à Stockholm le 14 juillet 1967 (CUP) et de l’art. 15 par. 4 ADPIC, « [l]a nature des produits ou services auxquels une marque de fabrique ou de commerce s’appliquera ne constituera en aucun cas un obstacle à l’enre- gistrement de la marque». On pourrait alors considérer qu’un État membre de l’OMC vio- lerait ses obligations s’il ne permettait pas l’enregistrement d’un signe utilisé en relation avec des biens virtuels dans une classe de produits ou de services au sens de la LPM. Cependant, il appert que la formulation peu claire de ces dispositions vise uniquement les marques utilisées en relation avec des produits dont la commercialisation serait soumise à autorisation dans les États

La doctrine allemande va dans le même sens puisqu’elle considère qu’un produit («Ware ») est un bien écono­ mique matériel («materielles Wirt­ schaftsgut ») 13 . b) Analyse empirique La Classification de Nice – qui com- prend une liste alphabétique des pro- duits et des services qui sont répertoriés dans quarante-cinq classes 14 et à la- quelle renvoie le droit suisse des marques 15 – ne comporte aucune déno- mination laissant entendre qu’un bien virtuel pourrait être enregistré à titre de marque de commerce (soit une marque servant à désigner des produits). C’est également le cas des listes de produits tenues par l’Office de l’harmo- nisation dans le marché intérieur (OHMI) 16 et le Japan Patent Office (JPO) 17 . Cependant, contrairement à la Classification de Nice, ces listes de pro- duits incluent la désignation « virtual reality game software » (classe 9) ou le service « [d]esign and development of membres (sur cette question, voir en particu- lier C.M. Correa, Trade Related Aspects of Intellectual Property Rights, Oxford 2007, 182 ; N. P. De Carvalho, The TRIPS Regime of Trademarks and Designs, La Haye 2006, 247 ss ; D. Gervais, The TRIPS Agreement: Drafting History and Analysis, 3 e éd., Londres 2008, 270) et il faut ainsi conclure que ces dispositions ne s’appliqueraient pas dans le cadre qui nous intéresse. Il est également à noter dans ce contexte que la formulation anglaise « nature of the goods» des art. 7 CUP et 15 par. 4 ADPIC n’est pas plus évidente que le texte français. 13 Voir notamment K.-H. Fezer, Markenrecht, Munich 1997, MarkenG 3 N 111, et les réfé- rences citées. 14 Art. 1 al. 2 ii de l’Arrangement de Nice. 15 Art. 11 al. 2 OPM. 16 L’OHMI dispose d’un outil d’aide à la classi- fication (TMclass) qui lui est propre et qui regroupe toutes les désignations de produits et de services qui ont été acceptés par l’Office . 17 La liste tenue par le JPO comprend les déno- minations reconnues par le « Cabinet Order » (art. 6 de la loi japonaise sur le droit des marques n o 27 du 13 avril 1959.

 7 Infra, III.2.  8 Infra, IV.3.

 9 Selon l’Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des

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