sic! 06/2017

Sevan Antreasyan 

3. Étendue de la protection du «signe virtuel » enregistré à titre de marque En vertu du principe de spécialité, le droit exclusif d’utilisation de la marque s’étend en principe à toutes utilisations identiques ou similaires de cette marque en relation avec un produit ou un ser- vice identique ou similaire lorsqu’il en résulte un risque de confusion (art. 13 et 3 al. 1 LPM). Ces conditions sont ana- lysées de manière approfondie dans le chapitre consacré à la violation d’une marque traditionnelle (lorsque les pro- duits pertinents sont virtuels, d’une part, et réels, d’autre part) 67 . Lorsque le conflit porte sur un signe virtuel (enregistré comme marque) et l’usage indu de celui-ci en lien avec un bien virtuel, la question de la similarité des produits sera plus aisée à trancher. En effet, la nature virtuelle des deux biens ne posera aucun pro- blème lors de l’examen de cette condi- tion, cette dernière devant être appré- ciée selon les critères « traditionnels » de la similarité entre produits ou services. Cependant, il ne faut pas déduire de ceci qu’une marque virtuelle conférerait une protection contre l’utilisation d’un signe similaire en relation avec n’importe quel type de biens virtuels. En effet, le prin- cipe de spécialité est toujours applicable et, bien qu’ils soient potentiellement tous enregistrés dans la même classe, les biens virtuels ne doivent pas être considérés de facto comme étant tous similaires 68 . En dérogation au principe de spé- cialité, l’art. 15 LPM permet d’étendre la protection du droit des marques à tous les produits ou services qui ne sont pas similaires aux produits ou services enregistrés. Eu égard au seuil exigé pour reconnaître la haute renommée d’une

en question (ou le secteur spéci- fique au sein du monde virtuel) effectivement « visité » par des per- sonnes se trouvant dans cet État, (ii) la page Internet où le bien vir- tuel peut être obtenu ou (iii) l’ app store où il est possible d’obtenir le bien virtuel. – « [L]e rapport entre l’utilisation du signe sur l’Internet et un droit sur ce signe dans l’État membre considéré » (art. 3[1][e]). Ce cri- tère (très large) permettrait facile- ment de rattacher l’utilisation « virtuelle » d’une marque enregis- trée en Suisse 64 . – La devise utilisée pour indiquer les prix (art. 3[1][c][ii]), l’indication du prix en francs suisses par exemple serait un facteur ratta- chant l’utilisation du signe avec la Suisse. La jurisprudence suisse n’a pas encore traité cette question de l’usage d’un signe sur Internet de façon appro- fondie et n’a ainsi pas eu l’occasion de prendre en compte cette Recommanda- tion de l’OMPI 65 . Néanmoins, ces cri- tères devraient trouver application dans ce cadre 66 . De plus, compte tenu de la nature des biens virtuels (et de leur mode de distribution), ces facteurs de- vraient s’appliquer de façon plus souple, à l’instar du troisième critère mentionné ci-dessus (« le rapport entre l’utilisation du signe sur l’Internet et un droit sur ce signe dans l’État membre considéré »). 64 L’OMPI a réaffirmé l’importance de ce facteur depuis lors (OMPI SCT/25/3, N 52). Ceci pourrait être interprété comme une volonté d’assouplir le rattachement territorial concernant l’utilisation d’une marque dans un monde virtuel. 65 En revanche, à titre d’exemple, le Tribunal fédéral s’est déjà référé à une Recommanda- tion commune de l’OMPI (Recommandation commune concernant des dispositions rela- tives à la protection des marques notoires (OMPI, 1999) dans l’ATF 130 III 267 ss. 66 À ce propos, cf. Buri (n. 59), 217 ss ; Wang (n. 47), MSchG 11 N 52 s.

marque 69 , il paraît à ce jour improbable qu’un signe virtuel puisse constituer une marque de haute renommée.

IV. Violation d’une «marque traditionnelle»

Ce chapitre traite de l’hypothèse – qui pourrait se révéler être la plus fréquente en pratique 70 – selon laquelle une per- sonne utiliserait un signe (en lien avec un bien virtuel) sans l’accord du titu- laire des droits sur une marque tradi- tionnelle enregistrée en Suisse 71 ou sur la partie suisse d’une marque (tradition- nelle) internationale. L’art. 13 al. 1 LPM prévoit que le droit à la marque confère à son titulaire le droit exclusif d’en faire usage pour distinguer les produits ou les services pour lesquels la marque est enregistrée ainsi que d’en disposer 72 . De plus, en vertu de l’art. 13 al. 2 LPM, le titulaire peut interdire à des tiers l’usage des signes dont la protection est exclue aux termes de l’art. 3 al. 1 LPM. Les articles 13 et 3 al. 1 let. a, b et c LPM prévoient que l’usage (infra, 1) 69 Cf. infra, IV.5 et les références citées. 70 Voir B.T. Duranske, Virtual Law: Navigating the Legal Landscape of Virtual Worlds, Chicago 2008, 149 ss, qui présente des exemples de biens virtuels qui utilisent sans droit les marques de tiers (notamment Fer- rari, Cartier ou Nike) et qui estime globale- ment le montant des transactions portant sur de tels biens virtuels à USD 3500000 par an selon des données de 2008. Les dernières statistiques disponibles indiquent qu’au 20 juin 2014 les transactions entre utilisa- teurs portant sur des biens virtuels (au sein de mondes virtuels) s’élevaient à USD 3200000000 et que 1200000 transactions hebdomadaires étaient conclues. 71 Dougherty et Lastowka présentent un exemple de cette hypothèse dans leur scéna- rio n o 1 : l’utilisateur « appose » le signe Nike sur des chaussures virtuelles sans l’accord du titulaire de cette marque (C. Dougherty/ G. F. Lastowka, Virtual Trademarks, Santa Clara Computer & High Technology Law Journal, 2008, 776). 72 Marbach (n. 23), 149 ss ; Cherpillod (n. 21), 169; David (n. 50), MSchG 13 N 3 ss.

67 Infra IV.2, IV.3 et IV.4. 68 À titre de rappel, il a été proposé ci-dessus que les biens virtuels soient tous enregistrés dans la classe 9 ; cf. supra, III.1.b.aa.

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