sic! 06/2017

Biens virtuels et droit des marques

d’un signe identique ou similaire (in- fra, 2) à une marque antérieure (art. 3 al. 2 LPM) et destiné à des produits ou services identiques ou similaires (in- fra, 3) peut être interdit lorsqu’il en ré- sulte un risque de confusion (infra, 4). Sera également abordé le cas particulier de la violation d’une marque de haute renommée (infra, 5). 1. Usage d’un signe Il va de soi que la violation d’unemarque suppose nécessairement qu’un usage litigieux en soit fait. La question de la délimitation du concept d’usage est in- téressante dans le contexte des biens virtuels dans la mesure où il s’agit d’une utilisation nouvelle qui n’existait pas au moment de l’entrée en vigueur de la LPM. Le législateur n’a pas clairement défini la notion d’usage à l’art. 13 LPM. Il ressort de cette disposition que l’usage pour distinguer des produits ou des services est une prérogative exclusive du titulaire de la marque (al. 1). Par ailleurs, une liste exemplative des diffé- rents usages prohibés est dressée (al. 2). La jurisprudence et la doctrine ont clarifié cette notion en posant que, pour être prohibé, l’usage de la marque doit être effectué à titre commercial (in- fra, a) et en tant que signe distinctif (infra, b). a) Usage commercial En principe, seule l’utilisation commer- ciale d’une marque est susceptible d’être interdite, par opposition à un usage privé 73 . Il est dès lors essentiel d’identi- 73 Voir l’ATF 114 IV 6 rendu sous l’empire de l’ancienne loi sur la protection des marques de fabrique ; David (n. 50), MSchG Vor 36 zum 3. Titel; Marbach (n. 23), 450; ATF 110 IV 108 ss ; à noter toutefois que depuis l’en- trée en vigueur le 1 er juillet 2008 de l’art. 13 al. 2 bis LPM, certains usages privés de marque sont prohibés, soit l’importation, l’exporta- tion et le transit de produits de fabrication

fier dans chaque cas d’espèce la nature de l’utilisation. Il y a notamment usage commer- cial dans les deux situations suivantes. Premièrement, l’utilisation d’une marque en relation avec un bien virtuel doit être considérée comme commer- ciale dès l’instant où elle est utilisée en lien avec l’offre de produits réels ou des services qui seront fournis dans le monde réel à titre onéreux. Tel est le cas lorsqu’ils sont offerts contre une somme d’argent ou contre de la monnaie vir- tuelle, à condition que cette dernière ait une véritable valeur dans le monde réel. En effet, l’art. 13 al. 2 let. e LPM, compte tenu de sa formulation large 74 , permet de protéger une marque indé- pendamment du fait qu’elle soit appo- sée sur des produits ou utilisée directe- ment en relation avec l’offre de ser- vices 75 . Ainsi, l’utilisation sans droit d’une marque pour offrir des produits ou des services sur un site Internet viole le droit exclusif d’utilisation du signe dans les affaires 76 . Deuxièmement, l’utilisation d’une marque en relation avec des biens vir- tuels doit être considérée comme com- merciale lorsque ceux-ci sont offerts à titre onéreux 77 , soit par exemple lorsque industrielle. Il faut toutefois nuancer la per- tinence de cette disposition dans le cadre de cette contribution car celle-ci ne s’appliquera certainement pas dans un contexte virtuel. 74 La norme interdit à des tiers, en sus de la liste exemplative de l’art. 13 al. 2 let a à d, de faire usage de la marque «de quelqu’autre manière dans les affaires ». 75 ATF 126 III 322 ss; David (n. 50), MSchG 13 N 23. 76 I. Cherpillod, Droit des marques et Internet, sic ! 1997, 122 ; Gilliéron (n. 59), 191. 77 Dougherty/Lastowka (n. 71), 779 ; M. Ung, Trademark Law and the Repercus- sions of Virtual Property, CommLaw Conspectus, 2009, 709 ; C. Varas, Virtual Protection: Applying Trade Mark LawWithin Virtual Worlds Such As Second Life, Enter- tainment Law Review, 2008, 9. En droit suisse, cette solution s’impose dans la mesure où l’usage commercial d’une marque est ad- mis dès lors que les produits ou services sont offerts à des tiers externes même dans le cas

la monnaie virtuelle utilisée est conver- tible, directement ou indirectement, en monnaie réelle 78 . En effet, il faut com- prendre que l’interdiction de « faire usage [de la marque] de quelque autre manière dans les affaires » 79 inclut ce nouveau type d’utilisation. En revanche, l’usage ne sera pas réputé commercial lorsqu’un utilisateur crée, acquiert ou « possède » des biens virtuels pour son usage propre 80 . La question de l’usage privé s’est posée devant un tribunal californien dans l’affaire «Marvel v. NCSoft » 81 . Cette cour a considéré que la création et l’em- ploi (par des utilisateurs du jeu vidéo en ligne City of Heroes hébergé par NC- Soft) d’avatars à l’image de personnages de bandes dessinées pour lesquels la société Marvel détient des marques ne constituait pas un usage commercial en droit américain. La situation est plus délicate dans les cas d’offres de biens virtuels qui font l’usage d’une marque mais qui sont of- ferts à titre gratuit. Dans une telle hypo- thèse, faut-il considérer qu’il y a usage privé (bien qu’il y ait offre et/ou trans- fert à d’autres personnes sur un mar- ché) ou, au contraire, qu’il y a usage d’offres ponctuelles, e.g. sur des plateformes de vente en ligne (voir en particulier M. Sie- ber, Gewerbsmässige Markenverletzung bei Privatverkäufern über Auktionsplattformen, sic ! 2015, 676 s. et les références citées). 78 À ce titre, la monnaie virtuelle Bitcoin () – qui peut être conver- tie en monnaie réelle – a gagné en popularité ces dernières années. Elle permet notamment d’acquérir des biens virtuels sur Internet (une liste des entreprises qui acceptent les Bitcoins comme moyen de paiement est publiée ci- après : ). 79 Art. 13 al. 2 let e LPM. 80 Voir l’exemple de Marbach (n. 23), 450, selon lequel une personne qui brode le cro- codile Lacoste sur un t-shirt pour son usage personnel n’utilise pas la marque dans le commerce. 81 «Marvel Enterprises, Inc., et al. v. NCSoft Corporation, et al.», Case No. CV 04-9253- RGK (PLAx) (U.S.D.C. for the Central District of California 2005).

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