Journal C'est à dire 217 - Janvier 2016

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D O S S I E R

“Le potentiel de l’horlogerie suisse est encore colossal” Le Locle

AVIS DE NOMINATION D’UN NOTAIRE Par arrêté de Madame la Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, en date du 24 novembre 2015, Madame Anne DAUVIN-WENDLING a été nommée en qualité de notaire salariée au sein de l’O ce de notaires dont est titulaire la société civile professionnelle Jean-Michel RURE, Véronique REDOUTEY, Virginie FEUVRIER-OUDOT, Sacha VETTER, Notaires associés. En cette qualité, elle a prêté serment à l’audience du Tribunal de grande instance de BESANCON le 15 décembre 2015. Le siège de cet O ce notarial est situé à MORTEAU (25500), 3 Chemin des Pierres - Tél : 03.81.67.07.67 - Télécopie : 03.81.67.11.61 Courriel : anne.wendling@notaires.fr Pour Avis

C’ est à dire : Com- ment se porte la marque Tissot un an après le dépla- fonnement du franc suisse ? François Thiébaud : Le décro- chage de l’euro par rapport au franc suisse nous a pénalisés, c’est clair, mais nous avons réa- lisé néanmoins une bonne année avons rapidement digéré cet évé- nement de janvier. Il y a eu bien d’autres facteurs compliqués en 2015. En Europe, on l’oublie déjà, mais il y a eu la crise de la Grè- ce qui a paralysé l’Europe pen- dant plusieurs semaines. Nous avons eu aussi le conflit au Moyen Orient. La zone Asie a été également très difficile. Seu- Dans un contexte compli- qué, la marque Tissot a ter- miné l’année 2015 sur un résultat encore positif. Com- me l’est toujours l’état d’esprit de son patron, le Français François Thiébaud qui annonce encore de beaux jours pour l’horlogerie suisse. Interview. 2015. À cause de cela, nous sommes en défi- cit de croissance sur la France, l’Allemagne, l’Italie, mais nous est de 5,4 % contre 4,9 % dans l’Arc jurassien et 3,4 % au niveau de la Confédération. Doit-on s’en inquiéter ? O.C. : Bien sûr. Pourquoi se situe- t-il à un tel niveau ? Avant les accords sur la libre circulation des personnes mise en place en 2004, la main-d’œuvre indigène était prioritaire sur les fronta- liers. Cela permettait de main- tenir un taux de chômage en Suisse assez bas. Les travailleurs frontaliers servaient en quelque sorte de soupape. La donne a changé depuis l’entrée en vigueur des accords. On vit actuellement un test des nouvelles disposi- tions. Avec un recul conjonctu- rel, que va-t-il se passer ? On constate que le chômage pro- gresse plus vite en Suisse. On a un effet de substitution de la main-d’œuvre indigène par la main-d’œuvre frontalière. Ce qui va poser des problèmes politiques. Le phénomène est déjà très mar- qué dans le Tessin qui s’appuie sur une très grosse réserve de travailleurs milanais. On n’en est pas encore à ce niveau à Neu- châtel mais cela arrive. Càd : Ce qui explique donc pourquoi les effectifs fronta- liers sur l’Arc jurassien se maintiennent voire progres- sent légèrement en 2015 ?

le l’Amérique s’est bien portée. Les attentats du 13 novembre à Paris ont également eu un nou- vel effet évident sur le ralen- tissement. Malgré tous ces fac- teurs, la marque Tissot conti- nue à bien se porter. Nous res- tons au-dessus des 4 millions d’unités produites, un seuil que nous avions franchi l’année pré- cédente. F.T. : Nous avions bloqué les salaires et n’avons procédé ain- si à aucun licenciement. À ce jour, nous ne prévoyons aucun licenciement, nous maintenons l’ensemble de nos salariés. Nous comptons 3 000 collaborateurs sur la Suisse, dont 345 sur notre site du Locle (49 frontaliers). Les difficultés dans l’horlogerie Càd : Ce relatif ralentissement n’a pas eu d’effets néga- tifs sur l’emploi ? O.C. : La hausse est moins for- te qu’avant et actuellement ils se maintiennent alors que dans les conditions précédentes on aurait eu une baisse plus forte. Càd : La hausse du franc suis- se induit-elle des pressions sur les salaires ? O.C. : Dans le contexte actuel, c’est clair, il y a un effet d’appel sur la main-d’œuvre frontalière et l’immigration en général. Il y aura forcément une pression sur les salaires. C’est la première crise importante depuis la mise en place des bilatérales. On se retrouve dans une situation inconnue. Avec les mesures d’accompagnement sur le mar- ché du travail, il ne devrait pas y avoir de dumping social mais cela est très mal contrôlé. Il y a là un manque de volonté des autorités suisses. Ici, le chôma- ge est sous-estimé. Les Suisses ne sont pas habitués à vire avec des taux élevés de demandeurs d’emploi. Càd : Les perspectives dans l’industrie semblent assez moroses pour 2016 tant au niveau des entrées de com- mandes, de l’emploi et de la production. O.C. : Sans parler de licencie- ments, on subira une érosion de l’emploi dans l’horlogerie mais surtout dans la machine. Ce sec- teur est très important sur le canton de Neuchâtel. La machi- ne-outil représente la premiè-

concernent plus les petits sous- traitants. En temps de crise, les gens qui achètent une montre se réfugient sur les marques incontournables qui sont plus sécurisantes pour eux que des nouvelles marques par exemple. Càd : Rien à avoir donc avec la crise de 2008-2009 ? F.T. : En 2009, l’horlogerie suis- se avait baissé de 23,8 % par rapport à 2008. Dans ce contex- te, le Swatch Group avait limi- té la casse à - 5 %. Et à cette époque, seules deux marques, Longines et Tissot, n’avaient pas baissé. En 2015, on n’a pas eu de récession comparable à cel- le de 2008-2009. L’horlogerie devrait être en recul de 3,4 %. 2015 est donc largement infé- rieure à 2014 mais il faut rela- tiviser les choses : sur les cinq dernières années, les exporta- tions de montres suisses avaient

augmenté de 70 %.

Càd : Vous restez optimiste ? F.T. : Ça ne va pas si mal que cela. S’il n’y avait pas eu ces attentats de novembre, les gens se seraient plus lâchés en fin d’année. Ceci dit, si la récession des exportations horlogères se limite à 3 % après une crois- sance de 70 % ces cinq dernières années, on peut dire que ça va plutôt bien. Et le potentiel de gain de parts de marchés de l’horlogerie suisse est encore colossal. L’horlogerie suisse ne représente en volume que 2 % de la production mondiale. J’estime qu’elle peut monter jus- qu’à 10 % dans les années et décennies à venir car le pouvoir d’achat global dans le monde va continuer à augmenter. Et la montre restera toujours un élé- ment distinctif. Propos recueillis par J.-F.H.

“ça ne va pas si mal que cela.”

Le Français François Thiébaud dirige la marque Tissot depuis 20 ans. Il faut également partie de la direction générale du Swatch Group.

Analyse conjoncturelle “On s’évertue à fragiliser les secteurs exportateurs et productifs”

Olivier Crevoisier, professeur à l’Université de Neuchâtel, spécialisé en économie territoriale et institutionnelle décrypte l’évolution de l’activité économique en 2015 sur le canton de Neuchâtel et plus généralement en Suisse.

C’ est à dire : Après l’envoléedufranc suis- se, certainsprédisaient une catastrophe en Suisse. On semble avoir sous-estimé la capacité d’adaptation de l’économie suisse. Qu’en pen- sez-vous ? Olivier Crevoisier : On note une pression forte sur l’industrie d’exportation et le tourisme.Mais, de manière générale, on consta- te aussi une force de résistan- ce supérieure à ce que l’on pou- vait attendre. Ce n’est pas la pre- mière fois qu’on vit une telle cri- se. Les entreprises ont pris des dispositions. Elles ont anticipé et se sont mises dans l’état d’esprit d’un franc suisse fort. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’il n’y a pas de diffi- cultés. Càd : Quand on observe les indicateurs de l’économie neu- châteloise, on constate un ralentissement global plus marqué que dans les autres cantons. Pourquoi ? O.C. : Car l’économie neuchâ- teloise est plus spécialisée que les autres dans l’industrie d’exportation. Neuchâtel réagit donc plus fort à chaque secous- se. Au début des années 2000, avec un taux de change beau- coup moins favorable au franc

suisse, les conditions étaient beaucoup plus favorables à l’industrie suisse qui a connu une expansion sans précédent. Le canton de Neuchâtel est plus exposé que les autres à la conjoncture internationale. Face aux fluctuations du franc suis- se, il réagit toujours beaucoup plus fort à la hausse comme à la baisse. Càd : En un an, les exporta- tions ont reculé de 35 % sur Neuchâtel contre 5 % au niveau national. Quels sont les secteurs les plus fragili- sés ? O.C. : L’horlogerie reste un bien de luxe avec des clients peu regardant sur les prix. Le boom de l’horlogerie coïncide avec le miracle économique chinois qui a absorbé le développement de la filière. Les machines repré- sentent un secteur assez parti- culier. Il s’agit de biens d’investissement sensibles à la conjoncture. Avec un effet accé- lérateur quand tout va bien et vice-versa. Je pense qu’on va avoir des tensions plus fortes sur les machines et l’horlogerie sauf si la Chine se réveille, ce qui n’a pas l’air d’être le cas. Càd : Sur le canton de Neu- châtel, le taux de chômage

“On se retrouve dans une situation inconnue”, indique Olivier Crevoisier, professeur d’économie à l’Université de Neuchâtel.

re branche industrielle en Suis- se. On en parle relativement peu car elle est très éclatée en de multiples petites entreprises. Tous ces éléments ont été condi- tionnés par l’évolution du franc suisse. On va vers un certain nombre de problèmes avec des politiques publiques soucieuses de réaliser des économies bud- gétaires, ce qui ne fera que ren- forcer le franc suisse. On s’évertue

à fragiliser les secteurs expor- tateurs et productifs. Il faut quand même savoir que la plu- part des collectivités publiques sont excédentaires en Suisse. Mais la Confédération cherche encore à réaliser des économies. Cette vision très conservatrice de la gestion des finances publiques constitue à mes yeux une aberration économique. Propos recueillis par F.C.

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