Journal C'est à dire 217 - Janvier 2016

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“On ne voit pas de signe d’amélioration” Horlogerie Sans oublier de regarder dans le rétro, le secrétaire général de la convention patronale de l’industrie horlogère suisse n’est pas franchement optimiste pour l’année 2016.

Exportations horlogères : premier coup de frein depuis 2009 E n novembre, pour le cinquième mois consécutif, les expor- tations horlogères sont en repli. Contrairement aux quatre années précédentes, la valeur des exportations de la branche nʼa pas dépassé les 2 milliards de francs, soit une contraction de 5,6 % par rapport à 2014. Ce constat illustre bien le contexte inter- national difficile dans lequel évolue lʼhorlogerie suisse. Deux raisons expliquent cette situation tendue. Dʼabord un facteur conjoncturel qui pénalise des marchés comme Hong Kong, la Chi- ne ou la Russie. À cela sʼajoute lʼimpact négatif du franc fort qui réduit dʼautant les bénéfices des entreprises horlogères. Les exportations vers Hong Kong, première destination, chu- tent de 30 %. Les États-Unis, second marché, sont toujours dans une spirale négative. Les autres destinations sont en meilleure posture : Italie + 2,3 %, Royaume-Uni + 14,3 %, Japon + 8,9 %. Seule lʼAllemagne est en retrait avec - 4,2 %. Les principales gammes nʼont connu aucune évolution positive que ce soit en valeur ou en nombre de pièces. Les exportations devraient finir lʼannée 2015 en recul par rapport au record établi lʼan dernier avec 22,2 milliards de francs. À fin novembre, elles atteignaient 19,8 milliards, soit une baisse de 3,3 % sur les douze derniers mois. Si la tendance se confirmait en décembre (les chiffres nʼétaient pas encore tombés), elle mettrait un terme à une dyna- mique exportatrice en constante progression depuis 2009.

“P our l’instant, on ne sait pas trop com- ment la situation va évoluer. En tout cas, on ne voit pas de signe d’amé- lioration” , explique François Matile. Les raisons de la moro- sité horlogère en 2015 sont mul- tiples. Il y a d’abord eu le choc du 15 janvier avec le renché- rissement de la monnaie suis- se qui a pris 20 % face à l’eu- ro. À cela s’ajoutent les turbu- lences sur les marchés en Rus- sie, en Chine, en Amérique du Sud, sans oublier l’Europe. L’ef- fet retard sur la partie produc- tion est maintenant terminé. Conséquence : un nombre rela- tivement important d’entre- prises a dû procéder à des licen- ciements ou a opté pour du chô- mage partiel. “On mesure dif- ficilement l’ampleur de ce cri- tère car il n’apparaît pas dans les statistiques. Mais il y a eu incontestablement un coup de frein qui se traduit par un gel des embauches.” Autre indicateur imparable : l’emploi temporaire en net recul avec des agences de placement en souffrance. François Mati- le rappelle aussi qu’au cours des quatre dernières années, l’hor- logerie suisse a généré la créa- tion de milliers d’emplois. “En 2008-2009, la crise financière avait provoqué la disparition de 4 000 postes de travail avec 50 %

ce souffrent davantage que les grands groupes qui ont la pos-

de licenciements et 50 % de non- remplacement. Deux ans plus

sibilité de jongler entre différents sites de pro- duction. “C’est com- pliqué de dire si les dif- ficultés vont s’ampli- fier en 2016. Les échos

tard, on retrouvait le même niveau d’emploi d’avant la crise.” L’horlogerie suisse a toujours été marquée par des soubresauts

Des agences de placement en souffrance.

d’activité. Quand la situation se dégrade, les petites entre- prises à dimension familiale qui exercent dans la sous-traitan-

qu’on peut entendre ici ou là ne sont malheureusement pas très encourageants” , conclut François Matile. F.C.

François Matile est le secrétaire général de la convention patronale de l’industrie horlogère suisse.

Syndicats “Tout mettre sur le franc fort est un peu facile” Le syndicat défend les travailleurs de l’horlogerie et l’industrie des machines. Il a bataillé pour limiter des licenciements collectifs dans le canton de Neu- châtel. 2016 n’annonce rien de bon.

“C e qui est inquié- tant, c’est le nombre croissant d’entreprises qui sont en réduction d’horaires de travail (R.H.T.)… Car la pha- se qui vient après, c’est le licen- ciement.” Depuis le début d’an- née, deux syndicalistes U.N.I.A.

ont bataillé pour une conven- tion horlogère forte. Elle passe par un salaire minimum (3 700 francs suisses par mois), 5 semaines de congés payés, 160 francs suisses de cotisation pour l’assurance-maladie et 60 pour chaque enfant, de la pro- tection lors des licenciements.

Sylvain Schwab (à gauche) et Francisco Pirès défendent les salariés de l’horlogerie et de la sous-traitance.

- Sylvain Schwab et Francisco Pirès - sont intervenus dans de nombreuses sociétés horlogères de La Chaux-de-Fonds et des

“Nous avons trac- té à l’automne aux frontières sur les conséquences du franc fort et nous avons invité les

La vallée de Joux est pour

licenciements étaient prévus. La Joux-Perret s’est séparée de 15 personnes à La Chaux-de- Fonds, Petitjean de 57 aux Bre- nets (contre plus de 60 au départ), Claret 25 (Le Locle), 22 chez Monnier, un sous-traitant et 40 chez Comax (mécanique). Le groupe Swatch tourne au ralenti, sans temporaires ou C.D.D. “Que des sous-traitants, notamment ceux dans le domai- ne du bracelet qui sont en concur- rence directe avec l’euro licen- cient en raison du franc fort, on peut comprendre. En revanche, c’est plus difficile à avaler pour les horlogers. Tout mettre sur le franc fort est un peu facile”

analyse Francisco Pirès. Les machines à outil peinent éga- lement à rester concurrentes. “Beaucoup de patrons ont des carnets de commande vides. Ils se séparent des temporaires. Au premier trimestre, le nombre de travailleurs qui pointera à Pôle emploi explosera (N.D.L.R. : car les salariés auront terminé leur période de carence)” avance Syl- vain Schwab. Selon l’U.N.I.A., environ 400 per- sonnes ont perdu leur emploi dans le bassin horloger du can- ton neuchâtelois. Un chiffre qui augmentera car des marques rapatrient du travail. Les sous- traitants sont les premiers tou-

chés. Les frontaliers ne seraient pas les premiers visés par les licen- ciements. Les Suisses le sont aussi. Parfois, c’est cruel : “Un employé peut arriver le matin, ne pas avoir accès à l’atelier et être directement convoqué à la hiérarchie. Il ne peut même pas dire au revoir à ses collègues. Le patron n’est même pas obligé de notifier le motif” déclare un syn- dicaliste. Le franc fort est un facteur aggravant. Mais pas le seul. L’ef- fondrement des ventes en Rus- sie, dans les pays arabes, la bais- se des volumes de vente en Chi- ne, le marché américain qui pei-

ne à repartir, l’apparition des montres connectées, rajoutent des effets négatifs à la crise. “On nous annonce que les exporta- tions horlogères ont explosé en Suisse. C’est vrai mais toutes les montres sorties des usines à des- tination d’un autre pays ne sont pas toutes vendues. Certaines sont seulement présentées. On estime qu’il y a des stocks enco- re importants” explique l’U.N.I.A. 2016 devrait donc être une année tendue pour le marché de l’em- ploi dans les montagnes neu- châteloises et le Val-de- Travers. La vallée de Joux est pour le moment épargnée. E.Ch.

le moment épargnée.

montagnes neuchâteloises pour protéger les salariés. Un travail de longue haleine consistant à trouver des solutions avec la direction de l’entreprise pour minimiser l’impact social… Lorsque le syndicat est préve- nu. Certains licenciements, notamment ceux concernant les temporaires ou les C.D.D., pas- sent à travers leurs mailles. Ce qui désole l’U.N.I.A., c’est la fai- blesse de la mobilisation des tra- vailleurs alors que leurs aînés

frontaliers à une réunion à Mor- teau. Une dizaine seulement est venue… Personne ne se sent concerné. C’est dommage” regret- te Sylvain Schwab, qui a la par- ticularité au syndicat d’être bi- national. Son syndicat a négocié pour limi- ter quatre licenciements collec- tifs (lire p. 17) parfois dans des entreprises de renom. À Fleu- rier, l’horloger Parmigiani s’est séparé de 17 personnes. Sans l’intervention syndicaliste, 30

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