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d’ « organiser »… Il est plus facile pour moi de diriger une équipe tout en étant l’un
de ses membres, partageant un travail physique direct ; mais je vois bien en effet
qu’il nous faut, à Ramalingam et à moi, être présents un peu partout à la fois, à
mesure que nous prenons plus d’ouvriers pour faire avancer les travaux, même
dans les Jardins…
… Piero s’en va en Italie pour ses « vacances » et laisse ses instructions, dont
certaines me rendent assez perplexe…
Ce soir je suis allé assister à une représentation d’Anu au Bharat Nivas ; seule,
pendant plus d’une heure, elle a dansé sur des pièces de musique difficiles –
Stravinsky et Ravel, et aussi une composition de notre Stefano, et un chant Hindi et
même une pièce de silence… -, et ce fut un vrai plaisir : la qualité de son travail et
de sa concentration, comme de ses progrès…
Mais parmi les Auroviliens, surtout les Occidentaux, je me sens absolument comme
un étranger ; je ne trouve rien là que je sois capable de partager ; ce n’est plus un
malaise, comme avant : c’est une sorte de distance intraitable…
… Je relis Ton Agenda ; et cela augmente le sens de l’écart effrayant entre ce qui se
passe et ce qui devrait se passer dans nos consciences – ces consciences
fragmentées qui T’ont réduite et Te réduisent sans cesse à une sorte de support
indéterminé qui légitime tout, et procure une dimension éthique relativement
confortable, avec çà et là quelques percées tolérables – juste ce qu’il faut pour
maintenir le sens d’une aventure spéciale… !
*1-9-1991, Auroville :
C’est dimanche : la matinée ici, à nettoyer et laver ; et la visite, assez brève, de
Su ; elle est encore incertaine et souhaite garder la possibilité physique de revenir
ici ; elle ne semble vraiment ni plus forte ni plus libre, mais c’est un travail intérieur
lent et profond qui ne permet pas un changement extérieur spectaculaire ; les
habitudes d’être sont inscrites…
… Une tristesse, aussi : L vient me trouver, saoul, demandant de l’argent pour
réparer son vélo ; à la demande de Ramalingam il a travaillé toute la nuit au
bétonnage du toit de la nouvelle maison du père de Sumathi, au village, et cela ne
s’est pas bien passé ; ils ont tous bu beaucoup d’arak et ce matin Ramalingam les a
emmenés sur un autre projet, et sont retournés boire ; j’apprend ainsi que L s’est
remis à boire régulièrement ces temps derniers… Cela semble sans issue, ici ; je
veux pourtant essayer de l’arrêter…
Puis Ramalingam est aussi venu me rejoindre ici un moment, épuisé et déprimé…
Je ne sais pas où me tourner… Je me sens proche des gens d’ici, dans le sentiment
comme dans le corps ; mais c’est constamment contredit par les cercles vicieux
dans lesquels toute la vie ici est enfermée, où l’individu n’a pratiquement aucune
chance d’émerger à la possibilité d’un choix conscient de son orientation, où tout et
tous sont liés par un contrat collectif beaucoup plus astreignant et « naturel » qu’en
Occident…
*2-9-1991, Auroville :
Une sorte de mauvaise humeur permanente, et d’étouffement : le sens de ne plus
être capable de tolérer la confusion générale, l’absence de clarté, de concentration,
d’efficacité, de sobriété… de qualité ! J’oscille entre une solitude plutôt désespérée,
et le besoin de briser, d’exploser, de nettoyer, de tailler dans cette masse semi
inerte – ce brouillage qui ne mène à rien, ne va nulle part, se répète et se reproduit
sans jamais s’ouvrir à rien d’autre…