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posent des défis logistiques énormes s’il s’agit de piquer une foule
de grands singes insaisissables. Il est essentiel de s’assurer que
l’initiative est appliquée en toute sécurité et en accord avec les buts
et principes de la conservation.
La recherche médicale appliquée aux grands singes doit adopter
une approche épidémiologique large. De récentes études médi-
cales ont identifié d’autres germes pathogènes pouvant menacer la
santé des populations de grands singes de plus en plus vulnérables
(Leendertz
et al.
, 2006; Köndgen
et al.
, 2008). Voilà qui nous en-
joint à la prudence afin d’éviter de passer à côté de décès dus à un
« nouveau » germe pathogène en marchant sur les traces du germe
que nous connaissons le mieux. En conclusion, le futur de la santé
des grands singes doit être proactif plutôt que réactif.
J’étais étudiante vétérinaire et je faisais des recherches à Bwindi
quand j’ai aperçu un gorille de montagne pour la première fois.
J’ai eu l’impression de rencontrer un parent très proche. Je pense
que c’est primordial que nous redoublions d’efforts pour sauver les
gorilles. Ils sont touchés par de nombreux problèmes tels que la
croissance démographique humaine, les maladies, le braconnage,
la perte de leur habitat… Nous devrions aller au-delà des gens qui
connaissent la problématique et nous adresser aux personnes qui
ne s’intéressent pas à la conservation des animaux et les amener à
commencer à s’intéresser aux gorilles. Car aussi longtemps que nous
aurons des familles nombreuses, une démographie en croissance et
un système de santé défaillant, les gens iront toujours braconner et
récupérer du bois de chauffage dans la forêt, et seront même tentés
de braconner les gorilles. Je lance donc un appel au monde entier
à considérer sérieusement la question de la préservation des gorilles
car cela nous touche tous.
La première fois que j’ai soigné un gorille, ce fut une expérience
émouvante et très intense, car une fois que nous avons lancé la
flèche sur le gorille, nous avons dû poursuivre le dos argenté. Tout
le monde avait très peur car c’était la première fois qu’on faisait
cela en Ouganda. Nous n’avions donc pas de traqueurs expérimen-
tés comme au Rwanda, où cette pratique existe depuis des années.
Par chance, j’étais en compagnie d’un vétérinaire expérimenté qui
venait du « Kenya Wildlife Service », le Dr Richard Koch. Mais
comme le docteur était en train de travailler sur le gorille, ce fut à
moi de poursuivre le dos argenté !
C’était pendant l’épidémie de gale. Il y avait une femelle adulte,
un jeune et un nourrisson. Pendant que Richard travaillait sur
le jeune, le seul que nous avions réussi à piquer, je suis allé vers le
dos argenté en criant « woo, woo ». Il s’est tourné vers moi sans
me prendre au sérieux. J’ai continué à crier et il s’est éloigné de
quelques mètres, s’est assis et nous a regardé ; il ne s’est pas enfui, il
s’est juste éloigné un peu et a regardé toute la procédure.
Une fois que le mâle s’est éloigné et qu’il n’y avait donc plus de
danger, je suis revenue travailler sur le gorille avec Richard. Nous
l’avons traité avec de l’Ivermectine et il a récupéré ; le reste du
groupe a récupéré aussi, sauf le nourrisson qui est mort, malheu-
reusement… Nous l’avons traité trop tard. Nous nous sommes de-
mandé où ils avaient bien pu attraper la gale car c’était la première
fois que cette maladie était observée chez les gorilles de montagne.
Finalement, nous avons compris que la maladie avait été trans-
mise par l’homme et nous avons réalisé que le système de santé
publique devait être grandement amélioré si nous voulions proté-
ger efficacement les gorilles de montagne ainsi que tous les gorilles
d’Afrique.
Dr. Gladys Kalema-Zikusoka
Vétérinaire de la faune sauvage, fondatrice et PDG,
Conservation trough Public Health
, Ouganda
INTERVIEW
« Redoubler d’efforts
pour sauver les gorilles. »