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*Journal. Déplacements : nullité ou naissance.

*17-9-1999, Chennai:

Voici le commencement de notes dont j’ignore presque tout du contenu.

Depuis Novembre 1973 je n’avais plus quitté l’Inde, je n’avais plus quitté Auroville.

Et Bhaskar vient de me laisser à la porte de l’aéroport, une étreinte si pleine et si

brève.

Il a plu sur la route.

Par le physique, un passage dimensionnel, je regarde ; rien dans la tête ; quelque

reste d’anxiété, oui…

C’est un processus trop délicat : toute réflexion serait un encombrement.

Une chose m’attire, d’un point de vue énergétique : cette possibilité qui s’offre d’un

quotidien « irresponsable », pour quelques semaines, et d’une certaine mesure de

disponibilité.

*19-9-1999, Weymouth :

C’est une sorte d’angoisse, que je n’ai pas éprouvée depuis beaucoup d’années.

Des perceptions d’ordre différent, les unes sur les autres.

Physiquement, c’est difficile.

J’ai froid, et l’impression qu’ici je ne pourrai jamais ne pas avoir froid, et d’être nu,

exposé, très vulnérable.

Comme d’être tombé en dehors de toute harmonie.

J’ai envie de crier, ou bien de fondre en larmes, et je me tiens pour ne pas être

happé par une sorte de défaite physique.

Pourtant il y a ici ces éléments qui m’avaient parfois manqué : l’océan, le vent, l’air

chargé d’embruns, les fougères, la bruyère, la lumière.

Il y a quelque chose dans l’atmosphère collective de l’Angleterre (je ne crois pas

que ce sera ainsi en France), quelque chose qui me frappe profondément. Une sorte

de tristesse, de peine : tout est propre, tout est organisé selon la pratique d’une

éthique exclusive ; une politesse qui s’avance avec persistance jusqu’à une certaine

mesure de fraternité, mais s’arrête et se fige ; il y a ce sens d’un respect de chacun

envers l’autre, et d’un engagement collectif pour l’honnêteté, et une proportion de

confiance. Mais la frontière est juste là.

C’est comme une agglomération de solitudes.

Pas la solitude des uns parmi les autres, mais la solitude due à l’absence.

L’absence du Divin.

Quitter l’Inde - le bruit, les détritus, la saleté, la confusion, l’insoutenable marée

humaine – et déjà, à Colombo, le sens d’une organisation collective qui n’est plus

contredite par le nombre : un aéroport propre, une élégance, et une jeune femme

qui, vêtue d’un uniforme « service de nettoyage », douce et courageuse, vient

gentiment pousser son balai serpillière autour de mon siège, dans la salle de

transit, pour effacer la trace des cendres de mon beedie.

L’avion de Colombo à Londres comme une prison où s’inflige la loi de la

consommation : cette musique constante, médiocre à hurler, le sourire

professionnel des hôtesses.