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Le monde humain a l’expérience aujourd’hui d’une menace – la menace de sa

destruction, de sa faillite, d’un chaos, et d’une perte irrémédiable de sens ; c’est

une menace dans la mesure où l’être physique de chacun est attaché à sa survie

dans les termes qui lui sont familiers.

Dans ce monde humain, ici et là, vibre une autre expérience, une prescience de la

vie qui attend, de la vie consciente ; mais pour s’y donner il faut une réalisation qui

est d’un ordre encore tout à fait exceptionnel.

Un état de préparation, de réceptivité, d’égalité, d’unité DANS LE PHYSIQUE qui ne

puisse plus être contredit.

Il faudrait pourtant que cette réalisation même soit assez répande pour que la

transition générale ne soit pas livrée à des forces d’autant plus violentes qu’elles

n’auront plus d’autre choix que de tout miser pour continuer d’exister et de régner.

Je peux percevoir, dans ma condition présente, combien je suis loin encore de cette

réalisation, qui est pourtant LA nécessité impérative.

Aujourd’hui je suis ici comme un étranger. J’ai froid.

Froid physiquement, froid humainement. Mais au moins je ne devrais pas avoir

froid divinement !

Mais je ne suis pas sûr : puis-je appeler, tirer, concentrer ?

Ou faut-il endurer et attendre d’autres ajustements ?

… Le soir : le temps s’éclaircit.

C et R viennent de me rappeler ; les nouvelles météorologiques sont

encourageantes, et ils sont tous les deux si anxieux de me voir enfin arriver.

Je suis resté dans la chambre à regarder la télévision ; il va falloir que j’aille

manger un peu solidement…

Simplement en regardant les programmes, il y a tout un travail qui se produit ;

l’interview d’un ministre du Gouvernement britannique sur les mesures élues pour

combattre la pauvreté - cette solitude effrayante qui ne s’apaise que

superficiellement par le pouvoir que donne l’argent de se fabriquer une image et

une vie ; un film documentaire sur la situation des propriétaires terriens en

Argentine ; une série sur l’existence ordinaire de gens ordinaires à East End de

Londres, aujourd’hui ; un vieux film américain avec Steve Mac Queen, situé en

Chine… Et je constate la densité de mes réponses émotionnelles ; il y a quelque

chose là qui se manifeste en soi, qui n’est ni personnel ni impersonnel, et qui est

hors de proportions avec ce qu’il me reste de besoins séparés.

*20-9-1999, Weymouth :

Le ciel est une grande masse grise, lumineuse, et l’océan est étale ; l’air est un

pointillé de bruine.

Un moment sur le petit pont aménagé dans un coin de la surface supérieure de ce

curieux vaisseau, qui ressemble à un grand hôtel flottant, un cube oblong à

plusieurs niveaux – et cette étendue vivante d’océan, le parfum du goémon : alors

j’éprouve cette gratitude de recevoir encore cette possibilité, ce contact physique.

Humainement, je me sens comme amputé : ce n’est pas naturel, ce n’est pas

normal, que mes autres corps ne soient pas dans ce moment et cet espace, que

Bhaskar, Anand, Shiva, Selvam, Ramalingam et d’autres ne soient pas ici même,

sur le pont, à respirer et voir à pleines goulées, percevoir, regarder, sourire,

découvrir et rire.