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l’anesthésie, de la convalescence et, à travers cela, du mental physique, de
l’unification, du rôle du corps.
*6-10-1999, Paris, Hôtel du Progrès :
Il y a des arbres devant ma fenêtre, de l’autre côté de la rue Gay-Lussac ; chambre
avec balcon, douches et toilettes à l’étage ; le plancher craque et ploie sous le tapis
élimé, le chauffage ne marche pas ; le monsieur propriétaire, ou gérant, m’a
demandé de payer d’avance, 230 FF la nuit.
C’est après avoir sillonné en vain tout le quartier que j’ai trouvé cette caricature de
l’anonymat, tout près de la rue du Val de Grâce où Tu as vécu, au fond de cette
cour jardin dont l’espace paraît encore intact.
Mes rêves cette nuit ont été pénibles.
Ici, dans Paris, est peut-être la seconde partie de ce qui m’avait manqué : les êtres,
la diversité des êtres, et leur nombre, qui permet les rencontres gratuites, souvent
plus humaines, plus profondément et simplement et vraiment humaines que la
plupart des rapports qui s’installent dans la vie ; rencontres physiques aussi.
La première partie, je l’ai trouvée au centuple, avec toute l’harmonie souhaitable :
la mer, le vent, l’espace, la lumière, les rochers, l’air nourri d’embruns et de
goémon, la mer, la mer, et la chaleur ample d’un nid qui ne prend pas mais se
donne.
Le voyage en voiture a été très tranquille et simple. Ce n’est qu’en arrivant aux
abords de Paris que j’ai ressenti la tension ambiante ; je n’ai reconnu ni les avenues
ni les rues ; j’ai reconnu l’appartement de C et R, mais pas personnellement, et il y
a encore plus de lumière par les grandes baies de l’atelier, car un immeuble entier a
été démoli juste en face et c’est un grand courant de ciel qui domine. Et R, plutôt
que d’allumer la télévision comme il le ferait normalement, a joué le disque de la
Gîta.
*8-10-1999, Hôtel du Progrès :
Marcher dans la ville, marcher, des heures et des heures de marche, et les pieds
endoloris, et il me faut percer une à une les ampoules qui se forment, ces pieds qui
sont un organe de perception pour moi, et que voilà enfermés !
J’absorbe, je reçois, j’éprouve, je vois, et je ne saurais rien dire.
Il y a dans beaucoup de regards un besoin de contact, une tendresse sans illusion :
pas dans la surface du regard, qui est prévenue, ou neutre, avertie, ou parfois
défensive ou prête à la riposte, mais dans le fond du regard, quelque chose qui
survit à tout ce nivellement colossal, à toute cette affluence qui prétend récupérer
même la misère.
Je découvre des traits et des lieux comme pour la toute première fois : vraiment je
ne les ai jamais vus ; et pourtant je sais historiquement les avoir connus, dans ce
corps et dans cette vie ; mais je ne reconnais pas ces lieux qui, historiquement, et
même émotionnellement, m’ont été pourtant familiers.
Avec C, un très beau film, comme un appel incantatoire, très sobre : « Rosetta » ;
et, avec C et R, de bons moments dans leur appartement ou bien, comme cet
après-midi, à se promener ensemble, doucement. C a repris ce matin son travail, et
son rythme d’ici.
Mes corps, mes cœurs me manquent ; ce n’est pas normal qu’ils ne soient pas avec
moi, ici, ne partagent pas cette expérience.