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Je me suis trouvé sur l’autre versant d’une situation essentiellement privilégiée, que
les données « karmiques » ne suffisent pas à expliquer.
Là, dans l’atmosphère de cette France d’aujourd’hui, j’ai compris et éprouvé
concrètement le sens même, et le fait intérieur, d’une expérience qui m’avait
semblé jusque là ne pouvoir appartenir qu’à Toi : celle de cette prière, de ce
mouvement de conscience que Tu décrivis au début du siècle lorsque, depuis la ville
où Tu habitais physiquement, Ton cœur s’élargissait pour accueillir et soulager la
multitude des êtres.
Dans son ampleur et sa puissance et sa pureté certes, cette expérience ne peut
être que la Tienne. Mais j’ai vécu tangiblement, à mon petit degré et à ma place,
identique toutefois dans son essence, ce mouvement de conscience et d’être qui
embrasse et connaît et comprend et aime à la fois tous les êtres quels qu’ils soient.
Aucun sens de supériorité ne s’y trouve : bien plutôt c’est une vérité qui participe à
la fois de la fraternité, la tendresse, la responsabilité, et la divinité de tout. C’est la
présence de l’UN – de l’unique Habitant.
Je peux distinguer des périodes à mon séjour, que je tenterai peut-être, maintenant
que je suis de retour, de retracer.
Mais il n’y aura probablement pas d’ordre logique à cette distillation ; car l’incident
ou l’anecdote n’ont que peu compté en regard des courants de perception et
d’émotion qui se sont mobilisés, à des rythmes souvent surprenants.
Et en fait, l’anecdote s’est trouvée constamment sous le contrôle de la Protection,
qui a tout orienté selon sa propre volonté positive.
« Je » se composait de deux niveaux ou réalités. L’une, celle de ce qui est
effectivement réalisé, unifié, ce qui existe vraiment, et qui s’est révélée dans
l’éloignement physique et énergétique du laboratoire d’Auroville ; et l’autre, celle de
mon bagage personnel encore relativement complexe et tourmenté, bien que
maintenu dans une paix active – ces besoins et ces désirs et ces aspirations
clairement distincts, à la fois par leurs origines respectives et leurs activités.
Ce bagage personnel - commençons par le plus lourd et le plus lié (la morale dirait
« le plus bas ») : le désir d’une sensualité et d’une sexualité contentes, d’une
célébration de tendresse avec les moyens du bord, c’est-à-dire en acceptant, sans
en devenir l’objet abruti, l’énergie sexuelle et en y versant un peu de fraternité.
Près de 30 années d’Auroville, d’une sécheresse qui n’est qu’exceptionnellement et
partiellement convertie et n’offre dans l’ensemble qu’une résistance masquée à
l’avènement d’une liberté où pourrait enfin se goûter le nectar d’une intimité
physique consciente émanant de l’unité ; d’une pauvreté d’harmonie, d’une pénurie
des sens, accablée par des conditions matérielles plus brutales qu’intenses ; d’une
aridité toute pétrie de désapprobation morale et « spirituelle » ; près de 30 années,
donc, d’un climat de négation laborieuse et d’inhibition physique et psychologique
et d’une sourde et stérile violence sous la chape environnante d’une hypocrisie
collective dont le système de valeurs exclut sans recours la nature même qui est
mienne depuis ma petite enfance ; près de 30 années, enfin, d’une expérience
sociale où les femmes sont soit gouvernées jusque dans leur chair par un modèle
culturel tyrannique qui leur interdit toute indépendance et toute recherche de
plénitude, soit confrontées à un idéal qui leur apparaît instinctivement si contraire à
la joie et l’harmonie qu’elles croient devoir rejeter tout ce qui pourrait être
interprété comme une attitude de séduction ; où il est inacceptable, sinon
inconcevable, que des hommes puissent se désirer mutuellement et souhaiter vivre