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sans bien ni mal, un noyau d’infinie douceur à travers tout, comme le chariot
minuscule, inestimé, d’une souveraineté qui se prépare.
Par la part, considérable, qu’a jouée la bisexualité dans ma vie, et depuis le degré
d’aliénation dans lequel elle m’a plongé, j’étais anxieux d’être mis en présence de
signes tangibles dune ouverture collective qui n’avait pu manquer de se produire, si
je me fiais aux messages véhiculés par la presse et la littérature contemporaines,
fruits d’un progrès de la morale et de la tolérance du groupe et d’une acceptation
généralisée, en Occident du moins, de l’identité active en chacun du sexe opposé ;
je me fiais à une sorte de moyenne de toutes les analyses et de tous les
témoignages que j’avais lus au fil des ans : l’évolution des mentalités, le droit à la
différence, et toute cette terminologie qui ne pouvait - me semblait-il depuis mon
isolement dans une société qui méprise, ignore, rejette ou condamne ces données
comme autant de perversions d’un obstacle qu’il faut de toutes manières et en bloc
éliminer, la sexualité tout entière sommée de disparaître, par la négation, l’arraché,
la déperdition ou l’usure -, qui ne pouvait donc, me semblait-il dans mon propre
manque d’une liberté partagée d’expression, que refléter dans ce domaine au moins
les avantages d’une société multi raciale et multi culturelle brassée sans alternative
et dans toute se diversité par les forces et les membres d’une entreprise dominée
par le matérialisme : une société qui se devait de reconnaître les droits de chacun
de ses membres pour mieux les absorber dans son mouvement de conquête et sa
poursuite invétérée d’une plénitude instrumentale.
Et j’avais bien sûr, pour substantifier cette croyance et lui donner une réalité
émotionnelle, mes propres souvenirs d’une adolescence peu soucieuse de la morale
et de rencontres qui m’apparaissaient toujours plus libres et gratuites avec le recul
du temps ; la nostalgie et l’espoir se rejoignant avec, pour les porter ensemble,
tout le travail d’élagage et de défrichage que j’avais subi.
Bien sûr, je savais aussi que le cataclysme du sida, émotionnel et physique, avait
inévitablement produit une quantité d’effets, réactionnaires pour une grande part,
que je n’aurais pu, à distance, mesurer.
Ce qui s’est passé en fait, c’est que je me suis trouvé là comme une sorte de
martien.
Tous les sentiers étaient minés, chargés d’un historique réducteur que je ne
pouvais que deviner, tissés de codes et de modes d’identification vibratoires envers
lesquels j’étais perçu, sinon comme suspect, du moins comme étranger.
Ce sont des clans, des ghettos, des codes de conduite ou de comportement, des
gestuelles élaborées, des acquis culturels que j’ai trouvés – pas des êtres dont
l’identité se serait libérée en avant et harmonieusement, mais les membres d’un
groupement de plus.
Oui, dans la foule au hasard des pas et des regards, ou dans les lieux les plus
anodins, une densité disponible et offerte, l’immédiateté d’une amitié, à la fois nue
et exigeante, une nouvelle sorte d’intégrité qui s’accepte et se construit ; des
instants, ici et là, de rencontre qui sourit vraiment et sans réserve, qui se donne
dans un silence plein de tous les gestes et de la somme réelle de cela qui pourrait
être.
*20-12-1999, Auroville, Matrimandir :
Avec le passage des jours et des nuits dans la trame renouvelée de ce quotidien
absorbant dont ce voyage m’avait extrait, la netteté et la précision de l’expérience
s’estompe et son acquis se rassemble et se convertit en une capacité, que