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peut-être l’affection directe d’une mère Térésa soulageant le corps démuni et
pustulant d’un paria mourant à Calcutta.
Il n’y avait pas de différence. Le même réalisme générait le même courage, la
même lucidité et la même dignité.
Oui, j’aurais aimé donner à l’une de ces femmes une nuit entière de repos et de
tendresse, et déposer là mon offrande : à elle, droite dans l’encoignure d’une porte
cochère rue Saint Denis, plus blonde et plus parfaite que ces actrices tant
célébrées, parce que plus exactement sûre de ce degré de la perfection dont elle
est l’héritière provisoire ; à elle, improbable harmonie de formidable volupté, les
traits de la Chine, la stature d’une reine africaine à la bruneur rougeoyante, cet
appel sans histoire, cette invite aussi ancienne que la terre…
Je ne l’ai pas fait.
D’abord, je n’avais sûrement pas la somme nécessaire ; puis peut-être que pour le
faire, pour décider de le faire et se mobiliser dans l’acte, dans le premier acte
déterminant, le premier geste qui enclenche, il faut être resté encore un peu plus
égoïste que je ne le suis devenu ; ou bien ce serait peut-être une tromperie plus
grande, et une trahison, puisque je ne partage pas en fait ce destin collectif à
l’intérieur duquel ces femmes ont dû faire leur choix de vie.
Et l’un de ces soirs où je marchais des heures, c’est au bout de la rue, ayant passé
toutes les portes et toutes les allées où résonnaient leurs talons aiguilles et les
mares d’ombres où se mêlaient en silence les silhouettes nonchalantes des
souteneurs et des veilleurs et celles, hésitantes, fuyantes, intimidées, durcies ou
réduites des hommes en quête, que j’ai remis un peu d’argent, là dans les mains
d’une clocharde assise, au visage carré par l’alcool et la maladie, épaissie dans ses
manteaux mités, qui ne me demandait pourtant qu’une cigarette.
Chaque jour dans la ville je marchais.
Des heures je marchais.
Vite, contre le froid ; plus rythmiquement, dés que j’étais réchauffé ; dans tous les
sens, d’un bout à l’autre et d’un quartier à l’autre, d’une atmosphère et d’un milieu
à l’autre, comme des états distincts de la multiplicité humaine distanciés par autant
de frontières subtiles.
Partout, puissamment, la mainmise sur le pouvoir de l’argent, et les déterminismes
générés par cette emprise.
Mais là où les foules sont les plus denses et les plus hétéroclites, là où les races
sont le plus mêlées et livrées ensemble au quotidien, c’est là que survit le mieux
l’humanité vraie, celle qu’aucune force exclusive ne pourra corrompre, celle
qu’habite une victoire permanente, la plus simple et la plus endurante des victoires,
aussi vieille que le monde et aussi neuve que le bourgeon qui éclot.
Ce qui m’a touché plus que tout, c’est, au fond des regards, derrière toutes les
gardes apprises ou acquises, tous les stratagèmes de la débrouille terrestre, ce
sourire et cette tendresse qui vibre instantanément, grosse d’un tel savoir qui ne se
dit pas, ne se pense pas, ne se regarde pas, qui est.
La seule évidence.
C’est l’oiseau de feu qui invincible toujours renaît.
Cela que rien ne peut défaire et que tout contribue à nourrir, la finalité qui
emportera tout, et l’unique issue de l’asphyxie.
C’est là que se grave la vraie histoire ; c’est par là que s’incarne l’évolution.
Celle qui compte ; pas celle de nos instruments qui se perfectionnent d’heure en
heure et nous réduisent aux fins d’une insatiable possession ; mais celle d’un être
direct et conscient, sans plus ni moins, sans dehors ni dedans, sans moi ni l’autre,