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J’ai pris un siège côté hublot, et une jeune femme cinghalaise, qui vit au Danemark,
a été ma compagne de voyage. En silence, comme une tendresse s’est révélée au
cours de ces heures d’inconfort partagé.
Puis, voilà. Londres. Dés que le jour s’était levé, j’avais regardé par le hublot : ces
étendues de notre Terre les plus belles, au Moyen Orient, et les plateaux et les
monts de l’Europe centrale… Puis, le Nord de l’Europe, la Belgique, la Manche, et
l’Angleterre : des sociétés mesurées, une affluence organisée, les routes
impeccables, les champs et les villes ordonnés, presque pas d’animaux, aucun
désordre.
A l’aéroport je suis fouillé et interrogé par une policière aimable et franche.
Puis, un autobus ; c’est comme une autre planète, une autre civilisation ; le prix
d’un trajet de 45 minutes, jusqu’à Woking, est l’équivalent d’une semaine de salaire
pour un ouvrier au Matrimandir ; le conducteur est poli, l’hôtesse contrôleuse est
polie, ils ne sont pas pressés et font le tour des terminaux pour récolter des
passagers, ils offrent du café, du thé ; le véhicule est silencieux, la route est lisse,
les sièges sont plus confortables que ceux de l’avion.
Puis, deux trains, l’un omnibus, l’autre plus rapide : à chaque petite gare un
homme ou une femme en uniforme s’enquiert auprès de chacun, prévenants, avec
cette triste fraternité courtoise à la fois choisie, nécessaire et sans joie.
Chaque être est distinct.
Mais tous sont inscrits dans une sorte d’identité commune donnée par la loi du
travail et de la consommation ; presque tous portent ces énormes chaussures de
sport qui sont à la mode ces dernières années. Beaucoup des plus jeunes écoutent
leur « walkman » constamment et en tous lieux ; ceux qui sont établis dans leurs
activités d’adultes ont leur téléphone portable, qu’ils utilisent fréquemment.
Je suis assis dans ces compartiments confortables, dans ces petits trains silencieux,
et mes yeux brûlent du manque de sommeil, j’ai froid, mes pieds sont douloureux
parce que, gonflés par le voyage en avion, ils ne rentrent plus dans ces sandales
que j’ai ressorties de l’armoire avant de partir, et je vois ces mouvements normaux
et quotidiens de cette société, de la naissance à la mort…
Le train doit s’arrêter quelques minutes sur la voie et l’hôtesse nous explique que
ce délai est dû à une réparation locale et nous prie de bien vouloir pardonner ce
retard ; un homme d’une quarantaine d’années, un peu sombre, qui lisait le
journal, sort alors de son sac un téléphone portable et appelle je ne sais qui pour
informer de ce retard de quelques minutes seulement : il ne me semble pas que ce
soit là une nécessité de travail, mais plutôt l’expression d’un besoin d’habiter la vie
quotidienne d’une importance personnelle, d’une valeur.
Enfin j’arrive à Weymouth, et marche jusqu’au bord de mer, où se trouve l’Office de
Tourisme : l’océan est agité, il bruine. Le ciel est sombre, et les rafales de vent font
tanguer les marcheurs sur la promenade. Les employés m’apprennent que le
bateau ne partira pas à Saint-Malo demain matin (c’était hier) à cause de la
tempête.
Alors il me faut trouver une chambre pour deux nuits, et je m’aperçois qu’il me faut
changer tout l’argent qui me reste… De Londres à Weymouth j’ai déjà dépensé
l’équivalent d’un mois de Maintenance pour un Aurovilien !
Weymouth est un petit port bien bâti, bien entretenu, qui visiblement fait ses
affaires du tourisme : chaque maison du front de mer est un hôtel, affichant
« comble ».