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se reconnaître intérieurement, de se développer aussi, à l’intérieur ou presque à
l’abri de ça, mais après…
…
FJ - … Tu sembles considérer qu’il y a d’une part le corps avec cette conscience qui
doit le traverser, le reprendre, resurgir de lui en quelque sorte et, d’autre part, une
espèce de mécanisme aveugle qui serait la fonction reproductrice, et que ceci
nuirait à cela… Je te dirais que pour ma part, je crois que l’homme a déjà de bien
des manières assez largement déjoué ce côté mécanique…
D – Oui, parce qu’il y a trouvé une joie, un plaisir qu’il a raffiné, comme un moyen
de se rencontrer…
FJ – Certainement ; mais ce qui m’intéresse, c’est cette continuité depuis le désir
sous sa forme, disons, la plus humble, le désir d’une petite volupté passagère,
jusqu’au désir de la béatitude infinie… C’est toujours du désir, pour moi : c’est la
vitalité accompagnée de son manque d’être, la conscience de son manque d’être,
en quelque sorte… Et je me demande, alors qu’on dit que le Divin doit
« descendre » dans la matière pour la « reprendre », on n’est pas en train de renier
ce mouvement même en court-circuitant ce qui est de l’ordre du désir, comme si ça
devait nécessairement être mauvais, et se mettre en travers de tout cheminement
vers davantage de conscience… Alors qu’à mon avis la progression même de la
conscience est un désir et au fond c’est la culture de ce désir qui compte, ce n’est
pas sa suppression…
D - … En fait ce que tu souhaites, ce dont tu parles, c’est une transformation : c’est
aussi ce dont on parle…
FJ – Oui, sauf que j’ai été un peu agressé, dans les textes que j’ai lus, par une
condamnation massive de la sexualité…
D – Il faut que tu te souviennes, ou que tu saches, que si tu avais posé ta question
maintenant à Sri Aurobindo, Il t’aurait répondu quelque chose qui n’est
probablement écrit nulle part, il t’aurait répondu à toi, maintenant…. Je crois que
toi, tu vas te conduire sexuellement avec ce besoin de culture de soi vers une plus
grande vérité d’être, et il n’y a rien à redire à ça… Ce qui fait la différence, c’est le
besoin qu’on a, c’est tout… Mais le corps, dans mon expérience, a lui-même le
besoin de s’unir plus directement, et il ressent comme un poids d’avoir à se
soumettre encore à des processus qui ne sont pas directs – que ce soit pour la
nourriture, ou pour le contact à l’autre…
FJ - … Mais… ce qui me gêne tout de même, à travers certaines remarques, des
textes, ou, comme ça, des réactions, c’est qu’on dirait que le comble, le fin du fin,
le maximum de progression, c’est de se rendre complètement éthéré, en quelque
sorte de se désincarner… Auquel cas je dis : on n’a pas sauvé la chair !
D - … C’est drôle parce que, pour moi, ça va de plus en plus vers quelque chose de
concret, tangible, immédiat, direct, solidement ou densément conscient… Mais je
comprend et respecte ce que tu dis… et moi-même, où j’en suis, je sens encore la
sexualité comme un moyen de s’oublier, de se donner ensemble à une certaine
intensité vibratoire de rencontre…
FJ - … Qu’est-ce que l’orgasme ?
D - … Oui, d’où ça vient, quelle est cette énergie, où est sa survie… Est-ce qu’on
peut s’unir à ça, est-ce que c’est conscient… Ce que je veux dire, c’est que, bien
que j’en éprouve encore le besoin, je sais aussi que c’est une béquille – c’est parce
que je suis, nous sommes encore infirmes, que l’on n’a pas assez de conscience et
qu’on a encore besoin de ce moyen qui est presque extérieur à ce que l’on ressent
déjà…