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FJ - … L’orgasme étant beaucoup plus une limite que LA chose à vivre pour elle-
même ; là encore, c’est le cheminement qui compte… !
D – Mais c’est comme si tu montais un cheval ; tu vas le garder à un rythme pour
qu’il dure le plus longtemps possible comme ça, tu seras sur ce rythme d’intensité
le plus longtemps possible, parce que c’est ça, en fait, que tu souhaites, c’est cette
intensité partagée… Et puis alors, dans le moment exact de l’orgasme, il y a cet
abandon complet, il y a, juste là, une joie qui est d’une autre qualité… Et ça, ça
reste encore un moyen de traverser, d’animer cette épaisseur, cette inertie dans
laquelle on est habituellement…
FJ – Cette fulguration…
D – Oui… et aussi ce temps qui précède où tu maîtrises, où tu te donnes dans un
effort et un souci de percevoir et sentir l’autre… Mais je veux dire que dans
l’expérience directe, consciente, sans moyens, quand tu arrives à ce que cette
même épaisseur s’anime, la joie que tu éprouves là est vraiment d’une autre
qualité… On pourrait employer le mot « authentique », cette joie-là est plus
authentique…
FJ – Quand ça ne passe pas par la voie sexuelle ?
D – Quand ça n’utilise pas de moyens, quand c’est direct… N’est-ce pas, il y a
toutes sortes de variations… Pour toi, et pour moi aussi, il y a la dimension de
l’autre qui est nécessaire, mais pour d’autres, si on parle des moyens qui sont à
notre disposition pour atteindre une certaine intensité, il y a peut-être la nourriture,
par exemple, ou l’alcool, ou des drogues, ou des sensations physiques fortes, je ne
sais pas… Mais dans tous les cas, c’est indirect, c’est une intensité qui ne se suffit
pas à elle-même, qui dépend d’un processus quelconque…
FJ – Mais pour moi… la sexualité n’est pas un « moyen », elle fait partie de moi, je
ne peux pas en dissocier le désir… J’ai plutôt envie qu’on me dise « il faut en faire
quelque chose, de plus en plus valable… », plutôt qu’on me dise « il vaut mieux la
nier, la supprimer… », tu comprends ? Cela me donne l’impression qu’on est en
train de morceler, de fragmenter ce qu’il s’agissait de reprendre en totalité.
Pourquoi ne pas « sauver » la sexualité comme le reste ?
D – Mais il n’y a rien à « sauver »… Il y a un besoin d’être qui grandit, c’est tout…
… Toute l’histoire qui fait que tu nais, que ton corps grandit, se développe et se
défait et meurt, moi je ne trouve pas cela satisfaisant. Il y a donc quelque chose à
trouver, à réaliser, à moins que tu croies que c’est comme ça à jamais, que c’est la
loi, la condition humaine ou je ne sais quoi… Mais si quelque chose en toi te fait
sentir que ce n’est pas comme ça « à jamais », alors c’est un chemin qui s’ouvre…
FJ - … Il me semble que cela consiste à nier cette mort au nom d’une vie supérieure
à laquelle nous cherchons le moyen d’accéder…
D – Non… On peut dire que c’est de passer à travers cette « réalité » de la mort en
restant vivant… Je me souviens d’un poème que j’avais écrit, quand j’étais gosse et
que tu avais corrigé… Tu m’avais questionné, tu m’avais trituré pour me faire
expliquer ce que j’avais voulu dire, il y avait ce vers « vivant-mort et mort-
vivant » ; tu avais même voulu me convaincre que ce n’était pas ce que je voulais
dire… Et j’étais incapable de dire pourquoi je l’avais écrit comme ça ; c’était à
Rodnoï, je sentais que mon corps… que j’étais corps et pas par hasard, pas
nécessairement pour suivre le chemin tout tracé – qui est de grandir, d’être fort et
puis de se décrépir et de mourir -, il y avait un besoin, là ; qui était différent… et
ça, ce besoin, ça te fait tout approcher différemment, ça te donne des difficultés
différentes aussi !
FJ - … C’est quand même bien un refus… !
D – Mais non, je ne vais pas dire « Non, non, on ne va pas mourir ! »… A quoi ça
sert de dire ça !