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Près de 20 années se sont écoulées. On y a affronté beaucoup de monstres,
accumulé les défaites et les pauvretés ; on s’y est blessé, parfois fatalement.
Mais toujours une tendresse est demeurée dans le corps et derrière le cœur, et un
silence au-dedans.
Sans cette impossible structure qui petit à petit, en dépit de toutes les
contradictions, se complète, Auroville n’aurait pu subsister.
Malgré tous les gaspillages, les entraves et les démissions, c’est l’histoire du
déroulement d’un Fiat inéluctable.
A ce jour, la Chambre intérieure est presque achevée, dans son apparence.
Pour cette Chambre, nous avons Ses instructions directes : Elle l’a découverte,
pénétrée et décrite en détail.
Au-delà des difficultés pratiques, la contradiction ne pouvait plus se loger que dans
notre présomption à vouloir modifier ces formes ou les ‘améliorer’ : une
préoccupation si grossière qu’elle a pu être écartée.
Mais pour le reste de la structure – et sûrement il s’agit d’une épreuve voulue et
nécessaire – subsistent encore des zones d’ambiguïté, où les opinions, les
préférences et les prédilections de chacun peuvent s’exercer.
Il n’y a pas de recette.
Nous devons devenir capables d’aborder l’Inconnu à partir d’un centre de
perception fiable et prêt à la transition.
Et ainsi sommes-nous acculés à cette question brûlante de l’objectivité…
La solution juste pour l’achèvement de la sphère se rendra-t-elle perceptible à tous,
ou à quelques-uns ? A travers une série d’approximations, ou par une évidence
matérielle ? A travers la vision d’une, ou de plusieurs consciences, ou à la faveur
d’un ‘accident’ ? En réponse à un appel collectif, individuel, retiré de l’activité, ou
dans le travail même ?
Et s’agit-il de la relation de Matrimandir avec le monde, ou de sa propre plénitude
active et inaliénable ?
Pouvons-nous saisir le caractère juste que cette sphère doit projeter pour les
siècles à venir ?
Savons-nous ce que nous faisons ?
Ce sont des mots. Mais les gestes de chaque instant sont habités d’une question qui
contient toutes ces questions ou les porte en avant, presque aveuglément ; comme
la traversée d’une obscurité de lumière…
Oui, d’ici quelques semaines, tel ou tel individu pourra accéder à la Chambre, qui lui
semblera achevée, et y faire certainement l’expérience qui lui sera la plus utile.
Mais le corps entier de Matrimandir doit accéder à sa complétude pour délivrer son
sens : celui d’une organisation de la conscience de demain, dont le centre conscient
ne sera plus le mental, mais ce point de Silence lumineux et vivant,
irrévocablement posé dans l’axe de la Force qui délivrera le monde vrai, où tout se
réunit dans une seule offrande qui célèbre Sa création libre…
Alors serons-nous guéris des religions, comme des fardeaux de la séparation.
Il nous faut arriver là. C’est notre part de l’effort. Là nous attend. Là a le temps.
C’est peut-être nous qui ne l’avons pas ?