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On pourrait croire qu’il leur manque un ressort, que toute initiative leur est
impossible, qu’ils sont incapables de former en eux-mêmes le moindre projet.
Pourtant leur sensibilité est comme nue.
Et ils savent directement ce qu’est la sincérité.
Interrogés, ils tendent à se replier sur des positions identitaires faciles ; mais c’est
un fait qu’ils ne veulent pas entrer dans le piège, et ne veulent pas endosser le
manteau de la responsabilité.
Comme à côté de tous les discours et toutes les professions et toutes les
intelligences, ils voient le monde tel qu’il est, et leur conclusion est lucide.
Mais toute connaissance qui a pour effet ou application de pouvoir manier plus
librement la matière les attire ; ils comprennent vite la portée des inventions les
plus sophistiquées ; ce sont des candidats naturels pour toute technologie qui
promet une indépendance matérielle, de mouvement, d’action et d’effectuation.
*9-3-2000, Auroville :
J’ai l’impression d’être réduit, réduit à un filet de conscience si ténu, à peine
inutilisable, dans une masse de bourbe lourde, sombre et sans joie. Il n’y a plus de
capacités : seulement des reflets de possibilités qui s’effacent. Il n’y a plus
d’inspiration, plus d’élan, plus d’identification : il n’y a qu’une sorte de lutte sur
place pour durer, comme lorsqu’on a trop longtemps nagé, que la distance jusqu’au
rivage ne semble pas diminuer, que l’on s’est vidé déjà de l’énergie requise, que le
ciel se couvre et la nuit tombe et on sait seulement une chose, qu’i faut rester bien
tranquille, essayer encore et encore d’éclaircir sa conscience, et durer…
On ne se déprime pas, on fait bonne figure, on ne se confie à personne – non par
fierté, mais par compréhension et fidélité : on ne se plaint pas.
C’est curieux, c’est comme si l’être - l’être humain, pour résumer les choses –
n’était pas encore debout !
Le sens véritable de la croix est glorieux, en ce qu’il signifie une plénitude et une
circulation consciente, effective : la transcendance, l’universalité, l’immanence.
Nous ne sommes pas alignés ; nous ne sommes pas libres.
Nous sommes voûtés, tordus, incomplets, infirmes.
Lorsque je me suis trouvé en France – en Europe, en Occident -, c’est, dans
l’atmosphère même, l’absence poignante de l’Esprit : quel nom donner ? Quel mot
employer pour désigner la conscience, la présence, au-delà et par-delà les
instruments connus ?
Ici, c’est dans l’air même, un fait plus certain que la matière même !
Mais peut-être parce que c’est une évidence, qui pourtant ne nous a pas vraiment
changés, n’a pas pris pleine possession du monde et de la vie, c’est comme le soleil
ou l’espace sidéral : on s’endort dessous !
Notre réponse est morale ; notre maximum commun est éthique et moral : une
glue, une sécrétion opaque et lourde et inhibitrice, lente, si lente à se mouvoir, une
épaisseur qui fige et force et nivelle.
Par exemple, dans la simplicité de la conscience, chaque être doit livrer son propre
combat pour la vraie liberté, la liberté de n’appartenir qu’au vrai et de n’être
possédé, dominé ou même influencé par aucun moindre maître ou monarque. Mais
ce combat nécessaire, par le caractère de notre réponse collective, est dénaturé et
rendu méconnaissable : il devient un combat moral !