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*22-3-2000, Auroville :

C a téléphoné hier soir. Malgré la recommandation de Laffont, les Editions Lattès

ont refusé mon texte, conseillant de rechercher une Maison d’Edition ayant au

moins une collection spécialisée dans le domaine « spirituel » ! C’est toujours la

même vieille histoire, comme une créature préhistorique qui aurait survécu aux

éons, de la division entre ce qui est « spirituel » et ce qui ne l’est pas – tout le

reste !

… Le fût du puits de la communauté s’est effondré.

Pendant plusieurs jours l’équipe appelée par le Service a essayé de le dégager ;

mais le métal du fût est trop corrodé et a dû s’affaisser sous la pression des eaux

qui se sont infiltrées après les dernières pluies torrentielles. Ils ont dû renoncer.

Mais je souhaite continuer de puiser au même point ; alors nous allons tenter de re-

forer le puits, juste à côté, et d’y insérer un nouveau fût de plastique épais (j’étais

en fait presque certain d’avoir déjà pris cette mesure il y a quelques années, et

Maurice partage le même souvenir ; c’est donc un peu mystérieux !).

Dans le contexte de la controverse autour du projet gigantesque de créer un grand

lac réservoir autour de Matrimandir – projet auquel nous nous opposons afin de

préserver l’environnement que Tu as souhaité -, cet incident est troublant.

Ce puits est excellent ; je l’ai toujours ressenti comme un cadeau de la Grâce. Mais

je vois bien que l’accident est interprété ici et là comme un signe que cette

communauté (« Sincérité ») doit disparaître, presque comme une punition.

Il y a là comme une symétrie : ces formations sous-jacentes qui circulent entre

nous tous, et ces évènements souterrains, physiques, qui échappent à notre

contrôle de surface et à notre ingéniosité technique.

*26-3-2000, Auroville :

Téléphone de C : Paul est parti hier après-midi.

Le matin il avait téléphoné à C et R : il était en colère et désemparé de se trouver

de plus en plus souvent dans une condition où il ne se souvenait plus des choses les

plus simples et ne pouvait plus vivre sans aide immédiate ; durant les derniers

jours il avait appelé chacun de ses enfants, sans rien avoir à leur dire, simplement

pour le contact. Wanda, sa compagne, n’osait plus le laisser seul ; mais hier, elle

était elle-même clouée au lit par une sciatique, et Paul était sorti seul ; en rentrant,

alors qu’il était dans l’ascenseur, il a quitté son corps – ce même ascenseur que

nous avons pris ensemble il y a 4 mois quand il m’emmenait déjeuner dans son

restaurant favori, une sorte de petit bistrot auvergnat, une pièce bondée, à deux

niveaux, et il lui fallait plusieurs minutes pour grimper le minuscule escalier

branlant menant à la loggia où nous nous sentions plus à l’aise : dans le brouhaha

des conversations animées, les allées et venues périlleuses des serveurs,

partageant notre bouteille de blanc fruité, sa surdité légendaire disparaissait et ses

grands yeux ronds dans sa figure ronde de vieux Chinois, si pleine de vraie

générosité, à la fois enfantine et lucide, ses yeux attentifs, directs et discrets à la

fois, transparents, ses grands yeux étaient les portes ouvertes de son cœur et il

écoutait et entendait chacun de mes mots comme s’il les buvait, et ses réponses

étaient l’expression de cette synthèse vibrante dont seules les âmes vivantes sont

capables.

La qualité de notre lien était faite de cette confiance inconditionnelle, que rien

d’extérieur ne peut expliquer ; et de le revoir avant qu’il ne s’en aille, de le revoir

au moins une fois après près de trente ans pendant lesquels il ne fut même pas

nécessaire de s’écrire, était l’une des raisons claires de ce voyage en France –