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Mais je sais bien comment, devant la volonté ou la soif de contrôle de certains de

mes collègues, compagnons et frères, je me suis retiré, laissant la place convoitée,

parce que l’alternative de lutter pour m’affirmer ne me plaisait guère.

Mais voilà : en chemin, j’ai perdu l’intérêt, ou la confiance, cette confiance en partie

ignorante qui permet d’agir parmi les autres et d’intervenir dans les circonstances.

Et rien encore n’est venu la remplacer.

C’est l’été ; 43° à l’ombre et presque toute l’énergie disponible est employée à

supporter physiquement cette masse suffocante.

… Je vois la peau du corps qui se flétrit, comme une fleur dont la vitalité se retire :

quel est ce monstre logé dans le corps qui dévore son innocence, corrompt son

amour de la beauté, le convainc de son impuissance et l’oblige à désirer mourir ?

Quel est ce pouvoir vicieux qui agit à la dérobée ?

Où cette force de défaite est-elle logée ?

Qu’est-ce qui dans notre conscience la nourrit ?

… Arjun est parti à Chennai pour consulter d’urgence un spécialiste renommé : ses

deux yeux sont affectés, et il doit subir une intervention pour drainer ses sinus.

A travers cette expérience physique et cette épreuve qui le mobilise entièrement,

un changement s’opère qui est en relation avec cette énergie compulsive et

presque maniaque qu’il déploie et manifeste depuis des années dans notre travail

commun, par laquelle il doit absolument être au centre et allouer à chacun le rôle

qu’il lui prescrit, et imposer son sens de la marche à suivre et des priorités ;

énergie mêlée à celles d’une grande générosité et d’un engagement profond, d’un

sens aigu de l’intégrité, et d’un humour dévastateur…

… C téléphone assez souvent – par besoin : elle est seule à lutter auprès de R qui

engage toutes ses contradictions vers la mort et souhaite l’y entraîner ; elle

parvient pourtant à continuer de travailler quotidiennement, à préserver son

indépendance et ses choix d’harmonie, de marche et de progrès…

J’ai su récemment, su à nouveau, avec une clarté nouvelle, plus tangible et plus

précise, ce que je veux vraiment réaliser.

C’est venu à partir d’une contemplation, en quelque sorte négative, de ce fait de

l’abandon du corps à la « mort » - de cette séparation matérielle : on se retire, ou

l’on est expulsé de la matière, et on y laisse un déchet, un corps qui se décompose,

une masse de cellules qui doivent se désagréger, pourrir ou sécher, un embarras

pour les autres, une laideur et un fardeau, un emblème de la défaite, une preuve

de plus de la division de la conscience.

Et c’est un fait qu’il m’est de plus en plus difficile d’accepter.

Alors est venue la vérité positive : il faut physiquement unir le corps et l’être

psychique (ce que nous appelons ici l’être psychique : l’individualité divine, plus ou

moins développée en chacun, que l’on porte en soi et qui est le centre véritable de

soi-même).

Il faut que les deux s’épousent mutuellement, tout à fait concrètement : qu’il n’y ait

plus la possibilité de la séparation.

Et qu’ainsi, lorsque l’être psychique choisit de se retirer, qu’il soit capable de

dissoudre ou d’absorber en la transmuant la substance même du corps : que toutes

les cellules du corps soient si conscientes et si établies en l’être psychique que plus

rien ne puisse les dissocier de leur appartenance.

C’est difficile à décrire, ou expliquer.

Mais cela m’a donné mon angle pour aborder le travail, avec ma propre aspiration.

Seulement, comment s’y prendre, et par où commencer ?

Et le temps du travail est-il donné ? Ce temps que je gaspille dans l’inertie, ou la

persistance de mes désirs et mes manques…