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quand il avait su que je venais, il savait aussi que le temps de quitter le corps
approchait.
Chaque départ individuel est unique, déclenche ses propres rythmes, déploie ses
propres ressources et s’oriente selon les données qui sont propres à chaque être ; il
n’y a aucune comparaison à faire ; aucune formation n’est acceptable, et le seul
souhait que l’on puisse composer et entretenir est que la personne réunisse le plus
harmonieusement possible et dans les meilleures conditions possibles ce qu’il lui est
bon et nécessaire de préserver dans le silence conscient de la paix et du repos qui
l’attendent.
Paul avait la perception d’un progrès, d’une évolution psychique dans l’humanité, et
je sais qu’il était ainsi branché, au-delà de l’âge de son corps et du passage
imminent, au cheminement d’une réalisation nouvelle dans l’homme et en avant.
Pour C, il y a autour d’elle un accroissement des signes d’une fin corporelle : R est
mal en point, et bien enclin à se tourner négativement dans la déchéance ; G, leur
amie de longtemps, vient d’être emmenée en maison de soins avec une leucémie
des gens âgés ; leur ami D est pris par l’angoisse… Heureusement elle a son travail
quotidien, et son chemin à elle qui grandit de tout, mais je sens bien qu’il me faut
aussi être prêt à retourner près d’elle.
… Bhaskar m’a annoncé il y a quelques jours son intention d’essayer d’aller vivre
seul à « Vérité » ; il a reçu hier l’accord des gens de cette communauté, mais le
mouvement même de quitter physiquement la maison est émotionnellement
chargé, et il attend maintenant de trouver ses gestes.
Pour moi, cela veut dire que je vais retrouver un peu de « privé »…
*27-3-2000, Auroville :
Peut-être sommes-nous ici un peu les sacrifiés.
Ce n’est pas une notion réconfortante, ou consolante ; mais cela peut aider à
former la distance d’une certaine sobriété.
Ce que l’on peut contribuer au chemin de tous et à la vraie destinée de la Terre,
c’est la manifestation si partielle soit-elle de nouvelles attitudes, de nouvelles
compréhensions et de nouvelles possibilités relationnelles, de nouvelles pratiques
qui soient délivrées de la division et de l’asservissement au pouvoir et portent dans
le monde un peu de ce regard et de cette présence dont l’humanité demeure si
tragiquement séparée.
Lorsqu’il se disait dans les premières années que notre travail était celui d’un
laboratoire, il me semblait que c’était une manière bien commode de justifier la
perpétuation de toutes sortes de mouvements – et de la lâcheté, la veulerie, la
médiocrité.
Mais avec le temps et l’expérience, ce procédé d’effort collectif, dans la liberté de
choix et sans guide apparent, s’avère effectivement relever d’une expérimentation
constante.
Quand bien même on se rassemble individuellement dans une offrande ou un
service soutenus, une action orientée, et tente d’y dédier le meilleur et le plus clair
et le plus sûr de ce que l’on a assimilé, quelque intervention immanquablement
survient, s’interpose, dérange et désordonne et remet tout en question. Et ce
phénomène n’est pas dû à la mauvaise volonté de quiconque : cela semble plutôt
être dû à l’action de cette Vision qui préside à toute l’expérience et travaille à notre
ouverture et notre changement…