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Une fois, alors que je craignais un retour de jaunisse, Mère m’envoya le message
de prendre une poudre ayurvédique confectionnée à l’Ashram, le « Sudarshan
Churna », dont l’amertume se chargea pour moi de toute la sécurité qui me venait
d’Elle, avec le sens grandissant d’une relation profondément établie, au sein d’une
dimension libre de la vie comme de la mort du corps.
Avec C., ma mère physique, s’était au cours de mes années développée une
relation dont j’avais pu dans la vie des autres vérifier l’exception, faite d’une
confiance inconditionnelle et pourtant lucide et réaliste et d’un sens vivant de
l’harmonie, du respect, d’une communication qui ne triche pas et ne rejette rien.
Je tentai, par lettre, de l’introduire à cette expérience pour laquelle il n’y avait dans
notre passé commun aucune correspondance et aucune référence, autres que
certains de mes propres tâtonnements, des « impressions » que j’avais eu parfois
l’occasion de lui faire partager. (Il faut préciser ici que C., ma mère, et F., mon
père, étaient chacun résolument athéistes, par souci de liberté et essentiellement
comme une forme d’intégrité et de respect de l’autre.)
Elle accepta de venir.
Nous étions en Mars. J’écrivis à Mère : (« Mère totale, à propos de la visite
prochaine de ma mère – et peut-être d’une femme amie – en Inde et à l’Ashram ; il
m’a semblé préférable d’aller chercher ma mère à Bombay, en tant qu’intermédiaire
entre elle et Toi, entre elle et ce que Tu éclaireras de son être. Elle et moi avons, je
crois, un rapport très positif, déjà assez libre, et dont l’équilibre repose sur un
bonheur intérieur commun et une sorte d’amitié profonde et indestructible. Mère,
veux-Tu me montrer quelle doit être mon attitude ?... »)
Ici, dans la marge, Mère écrivit :
« simplicité et sincérité »
(« … J’ai un peu d’appréhension. Mère, chaque jour Tu me permets d’avancer dans
un bonheur dynamique – je désire tant Te servir - … et tout ce que je puis Te dire
sans l’écrire, dans une confiance toujours croissante, je comprend mieux ce qu’il y
a à changer dans cette nature que j’ai reçue. Je souhaite devenir un moyen fidèle
et conscient, dans un être transformé. Merci à chaque instant. Pardon à chaque
instant. Didier. »)
En bas de ma lettre, Mère écrivit :
« Mes bénédictions sont avec toi. Mère. »
Il semblait que Mère doucement orientait Fabienne vers le rythme plus rassemblé,
plus protégé des désordres et des excès, de l’existence quotidienne dans l’Ashram.
Je partis seul à Bombay.
Je décidai qu’il faudrait pour amortir le choc d’un passage si abrupt à une humanité
si autre, le grand luxe, et je réservai une suite à l’hôtel Taj. Cela nous donna le
temps de retrouver un souffle partagé, cette amitié tendre, attentive et complice.
A Pondichéry Mère arrangea une chambre pour C. chez Redge.
Ce confort et cette harmonie lui permirent de traverser une première période bien
rude, où il lui sembla que j’allais disparaître dans une sorte d’entreprise à la fois
incompréhensible et inacceptable ; elle y voyait une sorte d’injustice foncière, mais
en même temps se savait tenue de respecter mes choix, quels qu’ils soient, et de
tenter de m’y accompagner tout en restant elle-même, si toutefois je le lui
permettais.
Puis, sans bien s’en rendre compte, elle commença de se libérer de tout un poids
de préconceptions et d’idées reçues, d’une morale à rebours qui juge sans
comprendre, et à prêter attention à un aspect de l’amour de Mère, essentiellement