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Je rejoignis Nata à l’Ashram et montai avec lui l’escalier de Mère.

Nous n’attendîmes pas longtemps.

Je suivis Nata dans Sa chambre, mais il s’écarta sur le seuil et me laissa entrer

seul, gardant la porte.

Mère était assise dans Son grand fauteuil, le dos à la porte, si bien qu’Elle ne

pouvait me voir marcher vers Elle.

Pourtant, avant même de me voir, alors que je m’avançais jusqu’à Elle, d’une voix

grave et forte et ferme, Elle commença de me dire :

« Tu verras, tu sentiras, tu comprendras, dans quelques temps, que c’est la

meilleure chose à faire… »

Et, alors que je m’agenouillai devant Elle, Elle ajouta ce mot :

« L’avenir… »…

qu’Elle laissa suspendu dans le silence.

Elle était vêtue d’une simple robe brune, d’un brun un peu brûlé comme la terre,

Ses bras découverts.

Ses yeux plongèrent au fond de « moi », ma main dans les Siennes, blanches et

fraîches et chargées de cette Onde, et ce moment s’inscrivait entièrement et pour

toujours ; je posai brièvement ma tête sur Ses genoux et Ses mains et Son sourire

soudain me bénirent encore.

Puis je me souvins de ce que je voulais Lui demander, je touchai mon médaillon

pour Lui signaler ce qui était arrivé ; sans un mot Elle me tendit un paquet de

bénédictions.

Puis je Lui remis un exemplaire du petit livre de Sri Aurobindo « La Mère », que je

voulais emporter avec moi.

Elle prit un stylo sur la tablette à côté d’Elle, ouvrit le livre et écrivit sur la première

page :

« Bénédictions. Mère. »

Alors… bien que Nata gardât la porte de Mère avec une détermination qui exprimait

à la fois son amitié pour moi et son adoration d’Elle, je ne me sentais pas le

« droit » de rester plus longtemps, de « profiter » de ce privilège – et, à ce

moment, il n’y avait plus de mots, plus de pensées ; il y avait ce silence seulement,

dans lequel Elle venait de laisser le mot « avenir »…

Comment s’en aller ?

Il fallut bien pourtant physiquement m’éloigner, sortir physiquement de cette

chambre, physiquement cesser de La regarder.

Vint le jour du départ.

G. avait gardé sa voiture devant le bureau d’Auroville, juste à côté et en face de

l’Ashram. Plusieurs messages d’amitié étaient posés sur le pare-brise.

Nous roulâmes à travers l’Inde, sans hâte, jusqu’à Bombay puis, traversant le

Rajasthan, jusqu’à Delhi. Le plus souvent possible au volant, la conduite m’aida à

recouvrer un rythme un peu libéré du désespoir, un peu plus de courage. Et je

respirais l’Inde, m’en imprégnais de tous les pores, absorbais, me nourrissais de

ses dimensions, comme si je voulais me charger à bloc avant de lâcher prise.

A Delhi, nous nous séparâmes. « Voyager » en-dehors de l’Inde n’avait pour moi

plus de sens. Je retournais sur mes pas, mais les bras emplis du plus beau présent

du monde – comment pourrais-je communiquer un peu de Cela qui m’avait été

donné sans le trahir ?

J’éprouvai là une appréhension physique : quitter l’Inde, c’était comme tomber.