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sac à terre et, l’air interrogateur, a fait de même. Nous nous sommes souri. Elle est

partie.

Tout à l’heure j’ai vu un film Hindi racontant l’histoire d’un orphelin qui parvient

indemne au large de tous les obstacles et douleurs de l’existence, grâce aux bonnes

actions qu’il a commises ; le salut lui vient d’un milliardaire et le film s’achève sur la

photographie de Gandhi… ; j’ai été stupéfait par l’extrême agressivité des

représentations de types réels ; les acteurs sont prodigieux d’exactitude et leur

expression est absolument convaincante. Que ce soit l’enfant malheureux ou le

petit mendiant vulgaire, la belle gourmande et odieuse ou la jeune fille douce et

méprisée, le mari saoul ou le père vulnérable, chaque personnage est d’une

violence presque insupportable. Les réactions des spectateurs sont aussi

déconcertantes, qui rient et applaudissent lorsqu’une bande de gosses ravage un

quartier de la ville, pillant les aveugles, frappant les vieillards, bousculant les

infirmes, renversant les paniers des femmes… Et on n’a le droit de sortir de la salle

qu’une fois l’hymne au drapeau Indien terminé… !

*Novembre, 1969, Thiruvanamalai :

Joie. Paisible.

Une rencontre, longue, complexe ; un homme, que j’ai trouvé dans le dernier

autobus, avec lequel s’est produit un rapport d’énergie ; son beau visage de maître,

son regard inoubliable, ironie, tendresse, force ; puis j’ai découvert qu’il était

infirme et j’ai eu honte de m’être affirmé. Il a fait arrêter le bus un peu avant la

ville, devant le portail de l’ashram, afin que j’y descende. Nous ne nous sommes

rien dit. Je suis entré.

Une atmosphère d’étude, de recueillement. Un courant passe.

On m’a donné une chambre ouverte de quatre côtés sur le jour ; la porte la sépare

d’une terrasse de même taille, couverte d’un auvent de palmes ; sur une étagère,

des livres, des paroles simples. Le temple de l’ashram n’est pas un objet ; il vit ; les

offrandes sont vraies.

Je sens Fabienne. Tous les êtres que j’aime sont en moi, je leur parle, ils me

répondent. Je ne suis pas prisonnier.

*29-11-1969, Thiruvanamalai :

Hier, avant la venue de la nuit, j’ai gravi le sentier de la Montagne, jusqu’au rocher

ou Sri Ramana Maharshi passa vingt années d’hermitage. Chaque geste, en Inde,

porte un nom, chaque parcours a sa correspondance. Ainsi, ce chemin était long et

dur. Il m’a dit une chose : « Va vers chacun comme tu vas vers moi, regarde-moi,

j’ai tous les visages. »

Je suis revenu, le corps et la pensée détendus. Je faisais son chemin.

La journée se passe dans le cœur, à l’ashram. Nul n’est là pour apprendre d’un

autre, il n’y a pas de guru. Chacun, respectant la paix de la communauté, poursuit

son travail ; la conscience ne peut se relâcher, car l’environnement témoigne

incessamment du bien-fondé de la quête spirituelle. On ne ressent aucune fatigue ;

les visages sont clairs et disent un bonheur proche de la sérénité. Le corps des

brahmanes vibre d’une vraie jeunesse.

Je suis conscient de ma vanité, de mes désirs de pouvoir.

Ici, l’humilité est comme immanente. Pour chaque être que je croise, un salut.

Chacun est humble devant la force de l’autre, car chacun est unique.