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39.
C’est le besoin de vérité qui doit remplacer toute contrainte, et en proportion de ce
besoin l’homme sera-t-il capable de s’offrir volontairement au changement.
Mais il faut du temps…
Alors voilà : on a précipité ensemble et pêle-mêle un petit nombre, des corps à
peine sevrés, tout encombrés des incompatibles de leurs différentes cultures,
touchés dans leurs rêves par un idéal formidable et tout bête dont les résonances
profondes mystérieusement les ramenaient à Elle, cet idéal évident et fou, de
l’unité humaine : l’unité comme condition préalable à la manifestation d’un monde
nouveau.
Largués ainsi dans les circonstances les plus contradictoires par le fait d’un privilège
incompréhensible, et injustifiable pour toute raison humaine, quelques-uns se sont
éveillés là, un matin brûlant, sur un arpent de terre érodée, usée par un siècle de
vent et de misère, et cernée par une humanité réduite à une caricature d’elle-
même, leurs yeux incrédules contemplant l’impossible énormité du travail, mais
quelque part autour d’eux comme un sourire amusé, patient et tranquille, et aussi
comme la mémoire à peine resurgie d’une aspiration très ancienne, d’un vœu très
ardent, et d’une promesse.
40.
De sa station de créature physique l’homme, selon les contrées et les âges, a pu
s’orienter dans les différents développements de son expérience, et se cristalliser
dans les différents aspects de sa personne – autrement si mouvante et incertaine.
Ceux dont l’axe était d’une communauté avec les mouvements et les formes
physiques de la terre, ont cultivé la perception d’un environnement dont chaque
être est en partie responsable, en partie le garant.
Pour d’autres, dont le chemin était d’explorer et d’affirmer les pouvoirs et capacités
du mental, ce sont les ressources de la terre qu’il s’est agi d’organiser, d’agencer,
de gérer et d’utiliser au service des besoins croissants d’une vie qui se découvrait
de plus en plus séparée.
Ainsi y eut-il d’un côté la connaissance instinctive que toute vraie possession, pour
être féconde de progrès et d’harmonie, doit nécessairement être mutuelle ; et de
l’autre, la soif d’acquérir et de conquérir, d’élargir et de diversifier les possibilités de
l’expérience, d’atteindre le lointain, de saisir l’inaccessible, de prendre et
thésauriser.
41.
Mais le corps : toujours ignoré, bafoué, mutilé, l’esclave ou l’objet, la bête de
somme, la marchandise ou l’appât, forcé de porter nos symboles et les marques de
nos tyrannies, lui-même porteur coupable du germe honteux de notre défaite
perpétuelle, ce corps qui ne savait que nous servir un moment pour nous faillir
sûrement, cet allié à notre insu de notre déchéance et notre échec, ce corps,
malgré toutes nos gloires, nous rendait toujours à notre abjecte soumission.
Et le corps : peut-être aimé parfois, pour nous avoir permis l’expérience de la
découverte de soi, et rendu avec égards et respect à la grande matrice du monde ;
et le corps, outil de mesure pour évaluer notre conquête de la peur – cette
conquête qui fait la noblesse de l’homme.
Mais le corps : vraiment, de conscience il n’avait pas !