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44.

Rien mais qu’Elle était si belle, rien mais que c’était Elle.

Et que, puisque Elle était là, et qu’Elle le disait, c’est que c’était enfin possible.

Et que, peut-être, si parfait tout semblât-il autour d’Elle, si conscient et dédié, et si

grande et forte fût-Elle, peut-être, quelque part, malgré notre épaisseur, notre

grossièreté et notre lenteur, avait-Elle besoin qu’on aide ?

Peut-être silencieusement quelque part demandait-Elle comme un ensemble, un

nombre, qui comprendrait juste assez pour La soutenir, qui émettrait en réponse

une énergie de confiance active et fidèle, pour balancer la grande masse

indifférente et toute la mauvaise volonté ?

Car nous n’étions venus pour aucun salut personnel, ni pour aucune réalisation

spirituelle – nous n’étions venus que parce que, sans le savoir vraiment, nous

avions entendu un appel, et l’avions reconnu.

Mais aussi on était humain, comme tout le monde, et comme tout le monde on

jetait sur Elle nos difficultés, on lui portait nos peurs, nos fantômes et nos nœuds à

défaire, et nos révoltes, nos demandes et nos plaintes, on rejoignait le chœur

misérable, on rentrait dans les rangs.

45.

On se rendait bien compte que, s’il était une tâche difficile, c’était la Sienne ; mais,

puisque Elle avait la force de l’accomplir, Elle pouvait bien aussi prendre la nôtre ?!

Quelquefois on voyait : on voyait comment l’homme sans cesse rappelait la

confusion qu’Elle venait d’éclaircir, relevait les barrières qu’Elle venait de défaire,

recréait le refus qu’Elle venait de dissoudre ; et comme tous, tous autant que nous

étions, accumulant les bonnes raisons, nous La tirions et nous L’empêchions…

46.

Nos psychologies et nos médecines retirent et leur subsistance et leur justification

de situations de contrainte ; toutes les dysharmonies qu’elles souhaitent ou

prétendent comprendre, éclairer et guérir, sont l’effet de tensions et de

contradictions dont les causes nous sont cachées par le fait même de cette

omniprésente contrainte dans la vie de l’homme.

Et l’on a rarement la possibilité, ou, l’ayant, on se donne rarement la peine, de voir

ce qu’il en serait si l’on supprimait la contrainte, à commencer par ses formes et

ses symboles.

Inscrite dans la trame de notre substance est l’étrange conviction que l’homme, s’il

était exempté de la contrainte, deviendrait immanquablement, et avec une rapidité

incontrôlable, l’agent et l’outil de sa propre destruction comme de celle de toutes

les valeurs humaines sur lesquelles il a fallu tout cet interminable labeur pour

parvenir à s’entendre, collectivement.

Notre perception de nous-mêmes, en tant que créatures, est profondément

empreinte de méfiance.

A côté de cette conviction se trouve une peur non moins étrange : celle de la

stérilité, de la nullité. Nous redoutons l’absence de contraintes en ce qu’elle

révèlerait de notre état d’humains, nous redoutons l’inertie dans laquelle nous

serions replongés, tant toute notre expérience d’homme nous a conditionnés à

croire que c’est par la difficulté que naissait l’impulsion créative, et par la répétition

de la difficulté que s’affirmait la volonté de mener à terme nos créations, que c’est