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30.

J’étais reparti. Et je vécus ainsi trois années à me débattre entre l’ombre et la

confiance, la formation d’un exil, la grimace d’un rejet et la nécessité d’aider ma

propre certitude et ma propre expérience d’Elle et de Ca à éclairer ma vie et mon

chemin.

C’était finalement aussi à Ses pieds que l’ombre m’avait rattrapé.

C’est autour d’Elle que certains ont eu pour fonction à mon égard de cristalliser

cette ombre et de la raviver.

Et j’ai plongé dans la grande déformation – sans comprendre tout d’abord comment

ni pourquoi, alors que je L’avais enfin trouvée, qu’Elle m’avait reconnu, repris et

renommé, tout était pourtant devenu si tordu, si perverti et si suspect.

Puis, commençant confusément de comprendre, je devais pourtant vivre avec le

sens d’une malédiction que mes efforts mêmes ne faisaient jamais que nourrir.

Jusqu’à Elle, tout était dans la foulée ; le jugement n’existait pas, les valeurs

étaient fluides, l’obscurité flambait de lumière, et tout était un seul appel.

L’ayant retrouvée, j’avais retrouvé en même temps la fausse hiérarchie de Celui qui

toujours veut s’accaparer l’exclusivité de l’Incarné, et contrôler l’accès au Pouvoir,

de Celui qui a toujours fini par L’étouffer, et L’empêcher.

Et tout s’était mélangé.

Quoiqu’il se passe, j’étais du mauvais côté : quand bien même je luttais contre les

effets de l’adversité la plus insidieuse et la plus empoisonnée, et de ses utilisations

les plus brutales et les plus intimes, et quand bien même j’apprenais à reconnaître

les fonctionnements et les méthodes de l’Adversaire dans ma conscience comme

dans celle d’autrui, et je devais endurer des tensions terribles, j’étais pourtant

officiellement condamné – l’ostracisme avait recommencé.

31.

Simultanément, comme en deçà, il y avait de l’espace intouché, imperturbable.

Et dans cet espace je pouvais, un peu, suivre et sentir, un peu, éprouver et

comprendre : Elle était là, matérielle, et parce qu’Elle était là, chaque instant de la

vie comptait inestimable ment ; c’était pour Elle du temps gagné, pour Elle, et pour

Tout, des secondes taillées, creusées dans le grand refus ignorant du changement,

l’élaboration lente et minutieuse, infiniment silencieuse, d’un Seuil qui resterait

pour de bon, d’une charnière matérielle invisible que rien ne pourrait détruire.

Mais ce qui manquait affreusement, c’était le bain physique de Sa présence, la

qualité, le sens, le contact, presque le goût et l’odeur de Son atmosphère physique.

Car près d’Elle il y avait l’assurance absolue que tout, tous les mouvements, les

circonstances, les possibilités, les énergies, tout était consciemment contenu et

nourri, abreuvé de Sens : la sécurité entière et constante, dans la vie même, d’un

Sens plus qu’humain.

Comme si jusqu’à présent ce Sens s’était tenu immobile, s’était abstenu de toute

intervention, car jamais encore aucun être manifesté n’avait eu ce courage ou cet

Amour qui est Besoin, de se tourner vers Lui, de Le solliciter, d’aller Le quérir.

Et Elle L’avait tiré avec Elle dans le monde et la vie.

Avec Elle Il était, par Elle et à travers Elle Il agissait ; ce Sourire qui avait toujours

attendu.