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passer, couler et courir la Force d’un monde plein, et la volonté d’un Sens
impossible : le plein de tous nos manques, le Présence pour tous nos vides.
Ancienne et mille fois venue, pour appeler, et briser les écorces, et tirer le grand
courant, ancienne et mille fois connue ici et ailleurs, ignorée, condamnée, adorée
ou reniée, mais seule à faire la somme d’un état qui n’en finissait pas de se
reproduire, d’une histoire maudite à la même fin perpétuelle par le germe de sa
contradiction jamais offerte, jamais affrontée, seule à préparer et travailler et
attendre le moment où l’homme enfin saurait, saurait enfin qu’il ne suffit pas, qu’il
ne peut rien vraiment s’il n’accepte pas le changement.
25.
Un jour Elle avait dit « on va faire une ville », et déjà Elle était plus loin, et les
résistances mêmes La précipitaient plus profond sous le poids de l’Homme, dans
une percée irrémédiable au cœur de tout ce qui nous soutient et nous porte.
« Cette ville est là, je vous l’offre, sa Possibilité – voyons ce que vous en ferez, je
vous invite à la tentative ; la victoire est certaine, mais serez-vous assez grands
pour la découvrir et vous y ouvrir ? Voulez-vous essayer ? Alors marchons : c’est la
porte d’un chemin nécessaire et utile, voulez-vous entrer ? Et advienne que
pourra… ! »
Elle n’avait pas dit « je vous aiderai » ; mais qu’il faudrait construire un instrument
matériel, un outil pour le rayonnement et l’action de la Force, un point physique qui
n’appartiendrait qu’à Cela.
Et la ville, elle, n’appartiendrait à personne en particulier mais à l’humanité dans
son ensemble.
Et cet instrument serait le cœur de cette ville.
Et des années plus tard son cœur à Elle, ce petit organe qui avait appris à supporter
le flot de courants formidables, ce petit cœur d’Elle cessait, immobile, à l’instant
même où l’on éteignait le dernier vibrateur après la coulée de béton qui joignait par
une dalle circulaire les quatre piliers doubles de l’instrument de Sa vision.
26.
Pour ces quelques peuples que leur vérité intérieure rendait à jamais incapables de
tout compromis, la terre entière était vivante, les créatures, les pierres, le feu, les
mouvements de l’air et des astres, les lieux, les rythmes et les pulsations de toutes
choses étaient animés d’un même souffle, par le même flot conscient du manifeste.
L’aventure permanente était pour chaque être de découvrir un peu du grand
Mystère, selon les termes de sa propre unicité. Reconnaître la réalité d’une chose
signifiait la posséder, en un contrat de respect mutuel et de coopération vivante.
L’irruption de l’arbitraire au service de besoins séparés devait inévitablement
détruire leur équilibre ; leur identité, dépossédée des conditions de son
renouvellement, violée dans sa quête naturelle, et volée de sa liberté de choisir, ne
pouvait survivre.
Le seul choix qui demeurait était pour l’individu, soit de sombrer dans une
déchéance suicidaire en s’abandonnant à la séduction facile des appâts que lui
tendait la barbarie triomphante, soit d’accepter les termes d’une solitude effrayante
dont l’objet serait d’apprendre à reconnaître la réalité humaine dans son ensemble