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Un soir de Novembre, je suis revenu dans l’espace physique de Sa Présence.
63.
Cette nuit-là commençait le bétonnage du fond de cette sphère dont Elle avait VU
l’intérieur – là-haut sur le plateau, au centre de Sa ville, un outil matériel qu’Elle
avait demandé, comme la percée d’une frontière, le support d’une coulée, un point
de ralliement…
Mais j’ai dormi, cette nuit-là, sur la terrasse d’une maison voisine de la Sienne,
gardé par un paon…
Le lendemain j’ai pu traverser l’étendue de terre rouge et là, au bord du cratère
d’où montaient les quatre piliers qui porteraient la sphère entière j’ai trouvé,
accoudé à une rambarde, tranquille dans le vacarme des machines, un frère ; et
dans les yeux, comme embrasé soudain par la coïncidence d’un Devenir matériel,
s’est déclaré en moi un assentiment évident : oui, je ferais aussi ce « travail »,
parce que c’était soutenu par Elle, parce que c’était beau, parce que c’était vrai,
vibrant de Ca.
Le soir de ce même jour j’étais assis en bas de Sa chambre et je L’entendais gémir
et protester, tenter encore de refuser cette nourriture et ces drogues qu’on La
forçait à prendre, Sa voix menue toute seule dans ce silence, et je regardais cette
foule impeccable qui gardait Sa solitude.
Et je réalisais en même temps deux faits terribles ; l’un, celui de l’énorme
imposture au front recueilli qui se mouvait impitoyable autour d’Elle, cette gangue
d’acier humaine embellie indifférente à Ses plaintes, à Ses cris, profitant d’Elle et
broyant irrésistiblement Son travail : l’effrayante solidarité de cette imposture
immaculée qui préférait garder d’Elle leur propre image victorieuse plutôt que de
L’accompagner sur ce seul chemin qui vaille la peine.
L’autre, celui de ma complète impuissance ; il ne s’agissait pas de mon impuissance
personnelle, mais de la « notre » ; d’un nous sans visages encore, mais un
« nous » présent et témoin, qui voyait mais ne pouvait rien, qui devait seulement
voir, regarder – et peut-être aussi marcher et La suivre, comme ceci ou cela ou
autrement, qu’importe, c’était Elle, ce serait Elle et sans Elle il n’y avait rien.
64.
Je me rendais compte que je donnais un crédit aveugle, dans cette confusion
d’expérience, à tous ceux qui avaient vécu longtemps près d’Elle, et avec Elle, qui
avaient eu le temps d’être défaits et refaits dans le vrai.
Et que ce crédit, ou cette foi, ou cette croyance, c’était à l’homme que je
l’accordais, oui, mais c’était à Elle que je le donnais, à l’effet naturel de Sa
présence.
Et aussi que, puisque c’était donc à eux que mon crédit se donnait encore, à ceux-
là mêmes qui marchaient et vaquaient, sanctifiés et impassibles, alors qu’Elle
peinait seule et pour tous, au milieu d’eux abandonnée, sans le moindre signe, sans
le moindre geste de leur compréhension, cernée par leur inutile dévotion, Elle ces
immensités pour un seul tout petit corps qu’ils refuaient d’aider, d’écouter, alors ce
même crédit les justifiait encore, leur conférait encore le mystère favorable de
raisons spirituelles que je ne pouvais atteindre.
Alors c’était vraiment impossible.