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61.

Dans les derniers mois de ce qu’aveuglément j’avais vécu comme un exil, propulsé

quoi que je fasse dans le tourbillon centrifuge d’un absurde piège, j’étais pourtant

enfin parvenu à m’arracher, m’enfermer, me boucler.

J’invoquais pour ce faire comme une forteresse qui m’isolerait de ce jeu pitoyable

qui, indépendamment de tout mon expérience plus profonde, sembler opérer à mon

insu et traverser ma vie que je le veuille ou non – et non seulement ma volonté n’y

faisait rien, mais Cela qui pouvait ne semblait aucunement désireux d’intervenir…

Je sentais confusément qu’il me fallait prendre une autre direction ; qu’il ne suffisait

pas de vouloir s’extraire du guêpier, ou de sortir de l’arène à reculons. Il me fallait

trouver le temps, extérieur et intérieur, de choisir, ou plutôt de m’unir à ce choix

que près d’Elle j’avais fait et éprouvé consciemment, et dont tous les choix à

l’avenir devraient découler. Cet espace, et cet état, de liberté.

La première priorité pour moi, et il était question de survivre, était de regagner un

peu de confiance.

En bâtissant cette forteresse, qui prenait eau, minée de toutes parts, mais on

verrait plus tard, je savais bien qu’on ne grandit pas avec un rempart ; c’était une

mesure tout à fait provisoire et stratégique.

J’ai pu me concentrer.

Quelques tentacules ont été écartées ; un peu de silence et de paix s’est établi ;

imperceptiblement, tout doucement, s’est dégagé l’accès à une confiance nouvelle,

et s’est révélée l’identité d’une certitude intérieure, qui était vraiment la mienne, là

où rien ni personne ne pouvait et ne pourrait me séparer d’Elle.

Et avec l’apaisement des ondes et le début d’une transparence, la qualité et la

réalité des mouvements divers auxquels m’a vie était liée peu à peu se dégageaient

de cette frénésie dans laquelle tout semblait plongé.

62.

A mesure que s’affirmait, comme un rire victorieux au-dedans, étrangère à la farce

du bord cette certitude consciente d’avoir mes racines dans un sol de vérité et de

pouvoir en tirer la sève et tous les courages nécessaires, et à mesure que se

propageait en moi la confiance inexplicable que cette certitude procure, il semblait

que les masques se mettaient à fondre ; j’apprenais à voir, et à percevoir.

Et ce n’était pas réjouissant ; c’était cru, c’était brut ; mais c’était juste.

Je comprenais aussi que cette perception n’avait pas en elle-même le pouvoir de

transformer.

Et mon besoin d’Elle en grandissait d’autant.

J’avais, clairement, besoin de deux choses. D’Elle, et de temps.

Et, autrement, comme dans l’axe vertical de la Coulée, je devenais conscient de

l’imminence d’un changement de Sa position ; et avec tout ce qui en moi était

capable de participer à Son mouvement, ou seulement même d’en saisir un peu la

portée, je priais, cela brûlait comme une prière constante, qu’il y ait un « Oui », et

que s’ouvre le chemin matériel.

J’allais revenir. Avec le silence de ma question vivante, j’allais revenir.

Personne ne pourrait m’en empêcher. C’était mon choix, libre et un.

1973 approchait à sa fin.