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l’environnement : ces mille détails ordinaires qui sont à nouveau dédiés, les petites

marques blanches sur les sentiers de randonnée, les pousses de bruyère avec tant

de soin protégées, ces rond points composés, entretenus, chacun une offrande, un

chant de fleurs et de pierres et de plantes, l’attention à la propreté, les ramassages

des feuilles, les rondins encastrés dans la falaise pour y définir une volée de

marches tapissées de mousse entre les mûriers et les ajoncs en cascade, les

poubelles municipales déposées chacune à sa place, le nettoyage quotidien des

rues, des routes et des plages, le souci général d’éviter le bruit, le désordre et la

négligence – comme si toute une société, presque une civilisation entière, s’était

soudain récemment ressaisie au bord d’un gouffre, réveillée juste avant qu’un piège

obscur se referme, et s’était tacitement mise à l’œuvre d’une réparation

persévérante et tranquille, plus humble de l’épreuve.

Et j’ai rencontré cette expression dans les villes autant que dans les hameaux et les

campagnes et les landes et les bois – côtoyant pourtant tous les symptômes de la

victoire de l’adversaire, du voleur de sens, ce rapace insatiable, le monstre que

nous avons épousé : ces vaches aux pis démesurément gonflées, aux oreilles

affublées de cartes plastiques orange, ces champs et ces champs sans fin soumis à

la monoculture, la multiplication quotidienne de ces maisons secondaires

préfabriquées envahissant les campagnes, inscrivant partout l’absurdité d’un mode

de vie où les solitudes s’additionnent indéfiniment, chacun de plus en plus aliéné de

toute possibilité de rencontre, lié par nécessité à sa voiture, son jardin, sa

télévision, son ordinateur, sa tondeuse, sa carte bancaire et sa cotisation à la caisse

de retraite et sa concession au cimetière et ses médicaments et sa portion de vice

acceptable.

Alors, ici, dans l’Inde, que se passe-t-il ?

Ici où chaque instant semble générer plus d’immondices, de crasse et de déchets ?

*30-12-1999, Auroville :

Il faut que bientôt – peut-être ici dans ce journal – je m’adresse, dans la présence,

sans artifice ni embellissement, ni prétention, mais non plus sans dégoût ni

désapprobation, à la question de la sexualité.

J’ai ramené de France un ouvrage intelligent, attentif, rigoureux, respectueux,

humain au sens intègre et généreux du terme, écrit par Edmund White, sur Jean

Genet.

Jean Genet qui a joué un rôle si puissant dans ma petite enfance, dont j’ai pu

retracer l’empreinte ici même, des années après qu’il soit mort, vieillard usé dans

une chambre d’hôtel.

Son rôle, involontaire, auprès de moi enfant fut-il une malédiction, ou simplement

l’instrument d’une reconstitution dans cette vie des éléments d’un problème qu’il

m’échoit de porter en avant jusqu’à sa véritable résolution, sa révélation

consciente ?

Mais les deux, malédiction et instrumentation, ne sont pas incompatibles dans la

perspective du travail à faire : l’obstacle à vaincre, la transformation à accomplir,

oui, mais plus encore et surtout et finalement, le dénouement – dé nouer, libérer,

délivrer dans le vrai, le Réel, dans le souffle de ce qui est vraiment, et Tout

Réconciliant.

Jean Genet, je ne l’ai revu qu’une fois je crois, par hasard, dans un ascenseur de

l’hôtel Lutétia, alors qu’adolescent j’y venais rencontrer clandestinement F.J, mon

père, qui était encore recherché par le Gouvernement.

Mais les images de sa présence – ces quelques secondes dans l’ascenseur quand

j’avais peut-être 12 ou 13 ans, et ces heures et ces plages d’atmosphère, ces